L’annonce du décès de l’illustre journaliste et chroniqueuse Denise Bombardier, le 4 juillet dernier, a frappé d’une onde de choc la francophonie par-delà le Québec, succédée par une pluie d’hommages, tant de la part de ceux qui partageaient ses positions tranchées que de ceux qu’elles faisaient sourciller. Celle qui, sans demi-mesure, ravissait sinon indignait pour son franc-parler, a fait carrière en pavant la voie pour bien des femmes, luttant pour des idéaux et des valeurs parfois bien ancrés dans les luttes modernes, notamment dans le secteur de la recherche et de la science. Regard sur les convictions qui ont fait de Mme Bombardier une figure militante, et dont certains des combats résonnent aussi auprès de la communauté scientifique, en dépit de son statut de polémiste.
1. Le droit à la carrière
Dans le domaine du journalisme, il fallait briser des barrières, comme c’est encore souvent le cas dans le secteur des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STIM), où seulement 40 % des entrepreneurs sont des femmes. Persistant dans le milieu, les obstacles genrés relèvent souvent, selon les principales concernées interrogées par CScience, du manque de confiance des femmes en elles-mêmes, du syndrome de l’imposteur, ou encore de codes préétablis par le boys’ club ( « club réservé aux hommes »).
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Bien qu’elle ait défendu, tout au long de sa carrière, un type de féminisme critiqué et étiqueté comme étant « conservateur », Mme Bombardier a sans conteste été un exemple pour beaucoup de femmes souhaitant s’imposer dans un milieu professionnel à dominance masculine, en tant que première femme à avoir produit et animé une émission télé d’affaires publiques à l’antenne de Radio-Canada, dont elle est vite devenue une tête d’affiche.
Ainsi, celle qui se considérait — tel que le souligne son amie et professeure à l’UQAM, Yolande Cohen — comme une « féministe d’affirmation personnelle » plutôt que comme une « féministe militante », ne se gardait pas non plus d’utiliser ses tribunes pour dénoncer les agressions de diverses natures subies par les femmes.
L’une de ses entrevues les plus notoires demeure celle où elle s’entretient avec la ministre française Simone Veil, survivante des camps de concentration allemands et instigatrice de la loi décriminalisant l’avortement en 1968. « Une femme profondément inspirante ! », a d’ailleurs soutenu Mme Bombardier dans le numéro 429 du magazine « Les Diplômés » de l’Université de Montréal, dont elle a une maîtrise en science politique.
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2. La lutte pour la représentation de la francophonie
Au Québec, seulement 21 % des articles scientifiques des établissements francophones sont en français, selon le Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur (LIRES), qui rapporte également qu’un enseignant universitaire sur deux ne voit pas l’intérêt de publier en français.
Si sa vision de la valorisation de la francophonie ne fait pas l’unanimité, Mme Bombardier a tout de même œuvré pour sensibiliser la population aux enjeux et réalités propres à la minorité francophone du Canada, et à l’importance d’agir pour en préserver la culture — une mise en garde qui fait écho aux valeurs que partagent de nombreux mouvements de la communauté scientifique, ainsi qu’à la mission d’organismes défendant la science et la recherche francophones, tels que l’Association francophone pour le savoir (Acfas), une organisation sans but lucratif canadienne dont la mission est de « promouvoir l’activité scientifique, de stimuler la recherche et de diffuser le savoir en français ».
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3. Porte-parole des autorités sanitaires
En période de vaccination contre la COVID, Mme Bombardier a certainement fait partie des personnalités s’étant le plus rangées du côté des autorités sanitaires et des scientifiques quant au vaccin dont ils vantaient les bénéfices, et ce, jusqu’à la promotion de la quatrième dose, alors que le Québec s’y montrait plus résistant.
« J’ai été estomaquée par la réaction d’une connaissance qui a contracté récemment la COVID. Il m’a dit : ‘Je crois maintenant que ça ne donne rien d’être vacciné’, parce qu’il avait attrapé le virus. Or il n’avait pas compris toute l’information diffusée depuis deux ans. II a fallu que je lui explique que le vaccin ne nous met pas à l’abri du virus. Il permet plutôt d’en atténuer les effets. Cela montre à quel point des gens, peu importe leur intelligence, peuvent développer une surdité sélective quand il s’agit d’une information qu’ils ne veulent pas entendre », a suggéré la chroniqueuse.
4. Méfiante quant au manque de balises éthiques des technologies
Mais cette confiance en la science trouvait ses limites là où elle cultivait une méfiance pour les technologies et, surtout, leur potentiel comme outils déshumanisants, destinés à tromper : « La technologie actuelle au service de la science est un acquis. Mais qui contestera que cette culture technologique sans visage, sans morale, sans contraintes et sans frontières ne transforme pas les humains. On nous avait promis de simplifier nos vies. Or nous éprouvons un sentiment permanent d’exacerbation, car nous craignons de perdre une qualité de vie, écrasés par des informations où la vérité et le mensonge deviennent quasi indéchiffrables. »
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Crédit Image à la Une : Gauche : Hal Gatewood. Droite : Denise Bombardier au Salon international du livre de Québec en 2012 – Asclepias, libre de droit