Données municipales : je t’aime, moi non plus

Données municipales : je t’aime, moi non plus

La collecte des données des citoyens suscite interrogation et méfiance. Pourtant, le palier municipal, premier palier de gouvernement, recueille la confiance relative des administrés. Mais le manque de littératie numérique, tant du coté des citoyens que du coté des services municipaux, engendre une déperdition d’analyses et une carence de décisions appropriées.

Selon une étude, près de la moitié des citoyens québécois seraient des « analphabètes fonctionnels » (incapables de lire un texte compliqué). Près de la moitié des Canadiens sont des utilisateurs de base ou intermédiaire, voire pas du tout, d’Internet. Mais 92% des Québécois ont accès à Internet à leur domicile. Cette relative ignorance fait écho du côté des services municipaux. Selon les participants à l’émission « En mode solution » du 5 juin dernier, les villes collectent de plus en plus de données, mais souffrent d’une inaptitude à les utiliser pour gérer. « L’intelligibilité de la donnée, la capacité à la comprendre est en cause », assure Primaël-Marie Sodonon, directeur de laboratoires urbains chez Ivéo.

Pourtant, les villes bénéficient d’un capital de « sympathie » de la part du citoyen, qui accorde une bonne confiance à sa municipalité pour gérer ses données (55%), selon une étude menée par l’ATN. Ainsi, malgré son inquiétude, le citoyen veut collaborer avec le palier municipal. Les citoyens ont confiance en leurs deux gouvernements de proximité (provincial et municipal), et n’ont aucune confiance en l’entreprise (à près de 70%) à laquelle ils acceptent pourtant de laisser leurs données en échange d’un produit. Si on ne te vend pas de produit, c’est que tu es le produit…

Changer la culture municipale

L’exploitation des données ne fait pas partie de la culture municipale. L’inaptitude à la littératie numérique et la peur du changement s’observent également dans les services municipaux. « La donnée n’est pas un actif stratégique, on n’a pas l’habitude de s’appuyer dessus », explique Sébastien Bertrand, conseiller stratégique au Bureau de la Planification stratégique et de la Performance de la Ville de Terrebonne.

Il cite un exemple de décision qui devrait s’appuyer sur des données factuelles de fréquentation de la piscine municipale : bains libres ou cours de natation ? « On prend les mauvaises décisions car on ne regarde pas les données », témoigne M. Bertrand. Selon lui, il faut valoriser la donnée.

« La ville est assise sur une montagne de données, mais les services municipaux ne savent pas les croiser. C’est une incohérence pour le citoyen ! »

– Sébastien Bertrand, conseiller stratégique au Bureau de la Planification stratégique et de la Performance de la Ville de Terrebonne.

Les citoyens reprochent également à leurs différents paliers de gouvernement (municipal, provincial et fédéral) de collecter des données, souvent les mêmes, et de ne pas se parler pour les croiser.

Mieux encore ! Les services municipaux recueillent chacun, dans leur service, les mêmes données sur les citoyens (le basique nom-prénom-adresse). « La ville est assise sur une montagne de données, mais les services municipaux ne savent pas les croiser. C’est une incohérence pour le citoyen ! », ajoute M. Bertrand.

Des villes inégales devant la loi

maire chute st philippe

L’animateur Philippe Régnoux et le maire de Chute-Saint-Philippe, à l’émission En mode solution produite par CScience Média.

« La donnée coûte cher, mais le citoyen veut que ce soit gratuit », explique Normand St-Amour, maire de Chute-Saint-Philippe. Le « village rassembleur » des Laurentides, fondé en 1940, compte aujourd’hui à peine un millier d’habitants.

Le maire rappelle l’inégalité des villes devant la loi. « On a les mêmes obligations, le même but à atteindre, mais pas les mêmes ressources », se désole t-il. L’élu ajoute pourtant : « Les grandes villes ont beaucoup de compétences mais peu d’agilité, les petites villes ont beaucoup d’agilité mais moins de compétences ».

Sans compétences municipales, des ressources externes doivent être mobilisées, et cela a un coût. « On a une égalité devant la loi 25 mais pas devant les ressources et les compétences », assure M. Sodonon. Pour autant, les grandes villes sont plus vulnérables au piratage que des petites municipalités, ce qui nécessite plus de ressources pour les prévenir.

« Les grandes villes ont beaucoup de compétences mais peu d’agilité, les petites villes ont beaucoup d’agilité mais moins de compétences »

– Normand St-Amour, maire de Chute-Saint-Philippe

La loi 25, calquée sur le Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen, est entrée en application en septembre 2022. Elle vise à protéger la vie privée des Québécois et a vocation à s’appliquer aussi aux municipalités, quelle que soit leur taille.

En plus de nombreuses obligations, les petites municipalités devront désigner une personne responsable de la protection des renseignements personnels, ainsi que former un comité sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels. La loi entre progressivement en vigueur (jusqu’en 2024) et s’impose à tous.

« Nous devons rassurer quant à la maîtrise des données et être transparent », explique Normand St-Amour.

Tout espoir n’est pas perdu car, selon les participants à l’émission, grâce aux enjeux environnementaux, les mises en commun commencent. Par exemple, la loi impose de cartographier les milieux humides et obligent les municipalités à collaborer et partager leurs données.

À la lumière de son expérience, le maire de Chute-Saint-Philippe suggère toutefois que le croisement des données devrait commencer par les différents paliers de gouvernements. « On passe 50% de notre temps à faire des redditions de comptes pour Québec, en double ou en triple », se désole l’élu municipal.

Sur le même sujet :

https://www.cscience.ca/2023/06/08/en-mode-solution-reinventer-nos-villes-et-mieux-gerer-les-donnees-municipales/

Crédit Image à la Une : Fauxels, Pexels