[ÉDITO] Le REM : des raisons de déchanter

[ÉDITO] Le REM : des raisons de déchanter

Un moyen de transport électrique automatisé, rapide et à passages fréquents… Ce projet qui, sur papier, faisait initialement rêver, est aujourd’hui source de cassement de tête pour bon nombre de Québécois. Alors que les déconvenues du Réseau express métropolitain (REM) s’enchaînent, les usagers sont de plus en plus nombreux à déchanter et à envisager de prendre leur voiture pour aller au travail. Une situation qui n’a « aucun sens », pense la ministre Geneviève Guilbault, et elle n’est pas la seule… Sommes-nous prêts à conjuguer efficacité et progrès technologiques avec la réalité économique des Québécois, et les besoins en matière d’écologie et de transport? Les derniers constats n’en font pas foi…

« 60 lignes d’autobus ont été entièrement redessinées afin qu’au moins 25 d’entre elles se rendent directement au REM, de sorte que des milliers d’usagers ne puissent plus bénéficier d’un aller direct en autobus entre Montréal et sa Rive-Sud. »

L’atteinte de « plus d’un million de passages sur l’antenne Rive-Sud, avec un taux de fiabilité de service de 99 % dès les premières semaines », et d’ « une moyenne quotidienne de 30 000 déplacements », c’est ce dont se targue encore CDPQ Infra quant à la sollicitation du REM, sans mentionner que ces chiffres sont artificialisés par l’exclusivité garantie à son service, et que le maintien des autobus demeure nécessaire pour s’y rendre.

Rappelons que 60 lignes d’autobus ont été entièrement redessinées afin qu’au moins 25 d’entre elles se rendent directement au REM, de sorte que des milliers d’usagers ne puissent plus bénéficier d’un aller direct en autobus entre Montréal et sa Rive-Sud. « Le nouveau réseau améliorera considérablement les déplacements locaux et intermunicipaux, en plus d’offrir des trajets directs vers le REM, pour un accès facile au centre-ville et à d’autres destinations sur la couronne sud », promettait Josée Bérubé, présidente du conseil d’administration d’exo, avant la refonte. Mais a-t-on vraiment amélioré les conditions de la clientèle du transport collectif, tout en incitant les automobilistes à s’y convertir ? Il y a de quoi en douter.

Depuis le remaniement, le REM est source de frustrations pour bon nombre de Québécois, victimes de ses déboires, allant de défaillances informatiques, au manque de fluidité de l’information, en passant par des problèmes d’accès pour les usagers à mobilité réduite. Et c’est sans compter le prix des titres, qui ne révolutionne en rien les modèles tarifaires du transport collectif métropolitain.

https://www.cscience.ca/2023/08/02/bilan-des-premiers-jours-du-rem-de-grandes-attentes-malgre-quelques-pannes/

Un système souvent défaillant et en « rodage »

Des efforts antibruit et des améliorations quant à la vitesse des trains ont certes été déployés dans le dernier mois afin de contenter davantage de Québécois et limiter les inconvénients occasionnés. Le REM a également fait beaucoup d’heureux, surtout parmi les usagers moins réguliers, de passage pour une promenade, ou pour contempler la vue à partir d’un premier wagon, abordant souvent ce moyen de transport comme un amusement plutôt que comme une nécessité.

https://www.cscience.ca/2023/07/10/mise-en-service-du-rem-des-le-31-juillet-les-solutions-antibruit-prevues-pour-reduire-la-pollution-sonore/

Mais dans la dernière semaine, trois interruptions de service en autant de jours sont survenues, dont une en pleine heure de pointe, le mercredi 1er novembre, en raison d’un problème lié au système informatique, ce qui a viré au cauchemar pour de nombreux travailleurs et parents en retard à la garderie.

Si les retards des trains de mardi n’étaient pas attribuables au même motif, selon le porte-parole de CDPQ-Infra, Philippe Batani, les pannes de lundi ont été causées par la défaillance du système informatique gérant les opérations. Après la détection d’anomalies et de ralentissements persistants, il a ainsi fallu se résoudre à interrompre le service en après-midi. Au micro de l’émission Tout un matin sur ICI Première, M. Batani a soutenu que les conditions météorologiques n’y étaient pour rien, et qu’un bogue informatique était plutôt en cause, entraînant le redémarrage du système, ce qui se veut un long processus.

« Si le service est encore ‘en période de rodage’, tel que l’évoque constamment CDPQ Infra pour justifier ses déconvenues, pourquoi en avoir fait la seule option de voyage pour les usagers du transport collectif entre Brossard et Montréal? »

« Moi, ce qui me dérange, c’est le délai de transmission de l’information en temps réel aux usagers », a déclaré en point de presse la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, questionnée à la suite des récentes pannes du REM. Elle a ajouté qu’après une rencontre avec CDPQ Infra, il avait été « convenu que ça n’avait aucun sens, le délai de transmission aux usagers. Moi, ça ne me convient pas de voir ça aller, au prix qu’on paie le REM… »

Si le service est encore « en période de rodage », tel que l’évoque constamment CDPQ Infra pour justifier ses déconvenues, pourquoi en avoir fait la seule option de voyage pour les usagers du transport collectif entre Brossard et Montréal? N’aurait-il pas été judicieux de conserver certaines lignes d’autobus achalandées, telles que celles du 45 et du 90, plutôt que de solliciter des navettes et d’envoyer des passagers de Brossard vers le terminus Longueuil?!

Le retour au trajet en auto : le choix du désespoir

Bien que le REM ne soit pas carboneutre – l’énergie utilisée impliquant des émissions de gaz à effet de serre, même s’il est électrique -, la ministre Guilbault rappelle que l’objectif est « de convaincre (les usagers) de faire des transferts modaux. On veut les convaincre de laisser la voiture pour pouvoir aller prendre le REM, alors il faut les convaincre (du fait) que ça fonctionne bien. »

« Le REM en ce moment c’est comme une relation toxique. On va lâcher ça pis retourner à la voiture, au moins j’aurai pas peur d’être pognée pour sortir au froid, quelque part dans un coin perdu. »

– Isabelle Lebœuf sur la page Facebook du groupe public « REM – RTL – Brossard Questions & Expérience »

En ce qui concerne les partisans naturels de l’automobile, qui se laissaient difficilement séduire, mais avaient adopté le transport en commun pour des raisons financières et de logistique, la rétention sera certainement mise à rude épreuve. Pensons, par exemple, aux nombreux Brossardois qui stationnaient leur véhicule gratuitement, à toute heure de la journée au terminus Chevrier, pour ensuite y prendre l’autobus 90, plein à craquer vers Montréal. Ils arrivaient en 20 minutes au centre-ville, satisfaits d’avoir laissé leur encombrante voiture derrière eux…

Désormais, ils ont le choix entre 1) prendre un ou plusieurs autobus et sauter dans le REM, 2) prendre leur voiture jusqu’au stationnement de la station Brossard, très tôt le matin pour se garantir une place gratuite, puis monter dans le train, et 3) abandonner complètement le transport en commun, quitte à payer pour du stationnement à Montréal, question de confort, et aussi parce qu’ils auraient sinon à débourser 155 $ par mois pour prendre le REM, de toute façon.

Pour plusieurs Rive-Sudois victimes des récents cafouillages, la troisième option, qui était pourtant le dernier recours à envisager, s’est finalement imposée comme le choix évident…

Carte de CDPQ Infra illustrant les zones de stationnement payant (en rose) et gratuit (en bleu) près de la station Brossard du REM.

« (…) le tiers de ces places sont payantes, contrairement aux 948 places du stationnement Panama et aux 2 313 autres du stationnement Chevrier qui, elles, étaient gratuites. C’est là tout le concept d’un stationnement dit ‘incitatif’ ! »

« Les usagers du transport en commun sur la Rive-Sud trouveront une offre de stationnement équivalente à celle d’avant l’arrivée du REM, avec environ 3 300 places de stationnement aux stations Brossard et Panama », a affirmé Emmanuelle Rouillard-Moreau, conseillère aux relations médias pour CDPQ Infra, en entrevue avec la journaliste Daisy Le Corre pour CScience. « Notre vision est de promouvoir l’accès aux stations par les transports collectifs et actifs. Les réseaux de transport locaux ont été améliorés afin d’assurer un accès rapide et fréquent aux stations. À cet égard, rappelons que nous avons d’importants terminus d’autobus aux stations Brossard et Panama. Nous espérons que cette offre améliorée incitera les gens à utiliser davantage les transports en commun », de conclure la porte-parole. Ce qu’il faut toutefois préciser, c’est que le tiers de ces places sont payantes, contrairement aux 948 places du stationnement Panama et aux 2 313 autres du stationnement Chevrier qui, elles, étaient gratuites. C’est là tout le concept d’un stationnement dit « incitatif »!

« Le REM en ce moment c’est comme une relation toxique. On va lâcher ça pis retourner à la voiture, au moins j’aurai pas peur d’être pognée pour sortir au froid quelque part dans un coin perdu », exprime Isabelle Lebœuf sur la page Facebook du groupe public « REM – RTL – Brossard Questions & Expérience », qui compte plus de 14 600 membres, et où pullulent les critiques et plaintes.

On y propose même de former « un regroupement de covoiturage (deux fois par semaine) avec départ de Chambly en direction du centre-ville (St-Laurent/René-Levesque) ». « On est rendu là? On est obligés de se créer des groupes de covoiturage avec toutes les ressources à notre disposition. Des ressources pourries », commente Josie Pizzuco.

L’hiver s’annonce rude pour les usagers réguliers du REM…

Crédit Image à la Une : Panne de service du REM (Photo de Iulia Sandru, Facebook) et Archives (communiqué de CDPQ Infra)