À 19 ans, elle étudie les effets toxiques de la cigarette électronique

À 19 ans, elle étudie les effets toxiques de la cigarette électronique

Depuis le 31 octobre dernier, la vente de saveurs pour produits de vapotage est interdite au Québec. Encore faciles d’accès, ces produits parfumés, souvent remplis de nicotine, demeurent très populaires, notamment auprès des jeunes, sur qui les effets néfastes pour la santé sont de plus en plus difficiles à ignorer. CScience s’entretient avec une jeune fille ambitieuse, dont l’intérêt pour le phénomène, et plus particulièrement la science, s’est manifesté dès le secondaire.

Alors que nombreuses études font état des risques liés à leur consommation, les produits variés de vapotage sont toujours en vente dans de nombreux dépanneurs et boutiques spécialisés – un fléau qui intéresse Coralie Dumont depuis sa cinquième année du secondaire.

En 2019, 29 % d’un échantillon d’élèves de 2e cycle a consommé des produits de vapotage dans une période de 30 jours

– Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire

En 2019, l’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire révèle que 29% des élèves de 2e cycle ont consommé des produits de vapotage dans une période de 30 jours, et que près de 17% d’entre eux se percevaient comme en étant « assez ou très dépendants ». À cette période, Coralie constate l’usage répandu de la cigarette électronique par ses camarades de classe. Puis, arrive le bal des finissants, et l’une de ses amies ne s’y présente pas. Elle apprend alors que l’amie en question, grande adepte du vapotage, souffre d’une perforation du poumon liée à sa surconsommation. « (Le vapotage) était un phénomène répandu à notre école secondaire, mais personne ne pensait que c’était dangereux. J’en suis venue à me dire qu’il y avait un problème et qu’il fallait peut-être faire de la sensibilisation auprès des jeunes, parce qu’ils n’ont pas l’air d’avoir conscience de la gravité des conséquences que peut avoir leur usage des produits de vapotage », raconte Coralie.

À son arrivée au Cégep, au Collégial international Sainte-Anne, où elle est inscrite au programme en sciences de la santé avec distinction, elle continue de percevoir l’omniprésence des cigarettes électroniques, cette fois-ci, dans les résidences de son établissement scolaire, ce qui la convainc d’étudier la toxicité du vapotage dans le cadre de ses études.

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Étude préliminaire : liens émergents entre e-liquide et complications pulmonaires

Coralie Dumont

« Dans mes lectures, j’ai remarqué que l’acétate de vitamine E et le menthol sont des molécules qui reviennent très souvent, qui sont associées au niveau de toxicité et feraient « coller » la plèvre ou perforer les poumons, mais il n’y a pas de lien précis. Mais dans les dernières années, il y a de plus en plus d’études qui commencent à prouver que c’est vraiment ce qui arrive », soulève l’étudiante, qui entend poursuivre ses études en pharmatoxicologie à l’Université McGill.

Son analyse des cellules SF9 (des cellules épithéliales d’insectes) et de cellules humaines en lien avec trois types de e-liquide (respectivement à base de CBD/THC, de menthol, et de saveur de melon miel) l’a fait constater que la concentration cellulaire descendait beaucoup pour le liquide de menthol, mais était en montrée flagrante et anormale pour le CBD/THC.

« Je ne peux pas en tirer de conclusion déterminante parce que ça demeure un projet à petite échelle, et il faudrait vraiment pousser l’étude plus loin pour savoir ce qui se passe vraiment en termes d’effet sur les cellules (…) Mais de manière préliminaire, et en se basant sur des études sorties récemment, le THC a été lié à une surproduction de vitamine E acétate. Peut-être qu’au lieu que des cellules saines se soient reproduites, peut-être qu’elles étaient des cellules cancéreuses », suggère Coralie.

Elle compte continuer d’étudier cette branche au cours de ses études, et souhaite que le milieu de la recherche se penche plus sérieusement sur les effets problématiques du vapotage. « Ça a pris 50 ans avant que l’on sache que la cigarette est bel et bien toxique. Il y a probablement de grosses campagnes marketing pour protéger les ventes des produits, pour dissimuler ce qui sort sur la toxicité des produits, et une partie de ça doit jouer un rôle sur les freins de la recherche (…) Je suis aussi convaincue que des chercheurs ne s’y intéressent pas parce que la nouveauté du phénomène rend difficile de savoir de quel bord l’approcher, et qu’avoir un financement sans direction claire doit être difficile », déplore Coralie.

Comment expliquer la popularité du vapotage ?

Depuis son entrée sur le marché au milieu des années 2000, la cigarette électronique trouve preneur au sein d’une nouvelle génération de jeunes fumeurs, plutôt désintéressés de la cigarette. Au Québec, en 2019, 53% des jeunes sondés par l’Institut de la Statistique du Québec rapportent avoir utilisé une cigarette électronique avant l’âge de 17 ans, contre 19% pour la cigarette traditionnelle.

La popularité écrasante du vapotage s’explique notamment par l’acceptabilité sociale des cigarettes électroniques chez les jeunes, mariée à une méconnaissance des risques encourus, et au biais d’optimisme. Coralie observe ces perceptions chez nombre de jeunes, qui « pensent que (les effets néfastes du vapotage) ne sont pas graves ou qu’ils n’arrivent qu’aux autres. C’est sûr que ça joue sur les pratiques de vapotage des jeunes. »

53% des jeunes Québécois rapportent avoir utilisé une cigarette électronique avant l’âge de 17 ans

La cégépienne note aussi un manque de connaissances répandu quant à la toxicité des produits de e-liquide. « Oui, la vapoteuse est moins toxique que la cigarette. Mais personne ne dit à quel point vapoter est quand même très mauvais. Il y a vraiment de la mésinformation qui se propage. » Parce que même si elle est moins nocive que la cigarette, la vapoteuse demeure néfaste, surtout chez les jeunes, et aucune étude longitudinale ne porte sur les risques à long terme du vapotage.

La désinformation et la mésinformation présentes sur les réseaux sociaux accentuent les pratiques de consommation des jeunes, pense Coralie. « La publicité sur les réseaux sociaux et par les influenceurs joue aussi un gros rôle. Il n’y avait personne qui démontrait non plus le côté mauvais de la vapoteuse. » Instagram est dominé par du contenu « pro-vaping », alors que les « stories » positives sur le vapotage seraient 10 000 fois plus nombreuses que celles négatives, et que de nombreux influenceurs soutiennent ces produits. L’endossement de la cigarette électronique par les célébrités et les influenceurs augmenterait considérablement les attitudes positives des consommateurs à l’égard de cette technologie.

Pour une meilleure sensibilisation

Pour réduire les habitudes de vapotage chez les jeunes, Coralie croit que rendre les saveurs illégales est un bon premier pas, même si elle ne constate pas forcément de baisse en popularité depuis cette mesure. Elle souligne la facilité pour des jeunes, mineurs ou non, de se procurer par livraison ces produits parfumés. Aussi, une enquête de La Presse en janvier dernier révélait qu’il est possible d’acheter légalement des « rehausseurs de saveur qui se mélangent facilement aux e-liquides neutres », qui sont considérés comme des produits alimentaires.

Des projets législatifs plus restrictifs et sévères sont nécessaires, avance Coralie. Elle donne en guise d’exemple les mesures adoptées de la Nouvelle-Zélande, qui se dirige vers un « 2025 sans tabac ». On y vise la création d’une nouvelle génération sans fumée, pour les personnes nées après 2008. L’âge légal pour l’achat de produits de tabac est de 18 ans; dès 2027, cet âge augmentera annuellement d’un an. « Je pense que si on peut s’orienter vers des projets de loi qui vise l’arrêt et non seulement la réduction de quoi que ce soit, ça pourrait probablement aider. »

En attendant que le gouvernement s’investisse dans d’aussi gros projets législatifs, Coralie invite à la mise en place de campagnes de sensibilisation moins dépassées : « On le sait, les photos sur les paquets de cigarettes ont un effet limité. Il y a un côté de sensibilisation qui pourrait être fait chez les jeunes dans les écoles secondaires. Déjà là, il pourrait y avoir une baisse des personnes qui s’accrochent et deviennent accros à la vapoteuse », conclut l’étudiante, dont les différentes étapes du projet de recherche sont relatées sur son site web.

Crédit Image à la Une : Coralie Dumont

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