Lors du 10ème Forum Fintech Canada, tenu la semaine dernière à Montréal, diverses conférences et acteurs du domaine de la finance ont abordé les grandes tendances des technologies, dont l’intégration croissante de l’intelligence artificielle dans le domaine bancaire.
Le rôle clé de l’IA dans l’évolution du monde de la finance
Lors d’échanges avec le président et chef de la direction de l’entreprise Sagard, Paul Desmarais III, la présidente et cheffe de la direction de PSP Investissements, Deborah Orida, ainsi que le PDG de Fiserv, Frank Bisignano, ont notamment souligné l’importance qu’aura l’intelligence artificielle dans le domaine bancaire au cours des prochaines années.
« Les données que nous avons comme entreprise peuvent nous être utiles, mais il faut garantir que nos clients voudront utiliser cette technologie pour que les données aient une utilité. »
– Frank Bisignano, PDG de Fiserv
Mme Orida a d’abord souligné qu’« en juin dernier, nous avons créé Chat PSP, qui permet aux gens de faire des tests et de voir à la fois les opportunités et les limites de cette technologie, et, par la suite, de comprendre ce que cela peut vouloir dire pour leur portefeuille d’investissements. Nous avons déjà plus de 1000 usagers sur cette plateforme. »
Frank Bisignano a pour sa part mentionné que « nous faisions de l’IA avant que ce soit l’IA. Nous avons une employée nommée Maeve qui envoyait les US stimulus checks [durant la pandémie de COVID-19], qui répondait aux appels des citoyens : il s’agissait d’une intelligence artificielle. Nous utilisons les données dans tous les types de décisions parce que nous pouvons prédire tellement de choses avec ces informations. Au sommet de la crise économique de la fin de la décennie 2000 aux États-Unis, nous utilisions l’IA pour déterminer où la prochaine saisie se produirait. Maintenant, c’est beaucoup plus intéressant, intelligent et rapide. Les données que nous avons comme entreprise peuvent nous être utiles, mais il faut garantir que nos clients voudront utiliser cette technologie pour que les données aient une utilité. »
Un domaine où « il faut en faire plus »
Présent à l’événement, le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire a souligné, en entrevue avec CScience, que la Fintech « est un domaine qui mérite d’être stimulé, pour lequel le Québec fait des progrès très importants depuis quelques années, mais (qu’) il faut en faire encore plus. » Le rapport fintech Québec semestriel 2023 indique d’ailleurs qu’à l’échelle de la belle province, ce sont 226 FinTech qui ont leur siège social, dont 10 qui ont été lancées en 2023. Elles emploient 87 299 personnes partout sur le globe et 19 621 au Canada.
Le ministre, dont le gouvernement a budgété des sommes totalisant 272,7M$ pour les FinTech sur cinq ans, ajoute que « c’est un secteur d’innovation qui va nous permettre d’avancer dans l’univers numérique, donc extrêmement névralgique au point de vue de l’économie. Inutile de dire que ce sont des investissements colossaux et qu’il faut aller encore plus loin, il faut en faire plus. » Une suggestion qui n’est pas sans rappeler qu’à la mi-année, les investissements ont chuté de plus de moitié selon un rapport de la firme comptable KPMG. Le total des transactions réalisées dans le secteur était en effet de 353,7M$ à travers 57 transactions, alors qu’il était de 834,1M$ pour 109 transactions à la même période pour 2022. Ce serait au climat économique incertain et à un risque de récession que serait attribuable cette diminution des sommes investies dans le domaine. Une plus grande stabilité pourrait toutefois s’installer à nouveau d’ici la fin 2023 ou le début 2024, selon Georges Pigeon, de KPMG.
Stimuler l’investissement à Montréal
Pour le directeur général de Finance Montréal, Jacques Deforges, le Forum Fintech Canada fait partie des éléments qui aident à stimuler davantage d’investissements pour les technologies dans le domaine financier. Son organisation est instigatrice et organisatrice de l’événement. « C’est le troisième secteur en innovation technologique en général. On a une mission de la place financière à Montréal. On joue la carte de la finance innovante. On est très actifs dans la FinTech mais aussi dans la finance durable ESG. C’est important de faire rayonner le Forum, de le faire connaître à l’étranger. »
Il ajoute que « le Forum est un peu notre navire amiral. C’est notre événement le plus connu et on l’a associé au Canada précisément pour avoir une image qui est beaucoup plus nationale qu’un forum du Québec. C’est une plateforme de rayonnement incroyable et ça attire des gens de l’étranger, des investisseurs, notamment à travers notre partenariat avec Sagard, les fonds d’investissement de Paul Desmarais III qui amène en parallèle de notre forum une façon un peu de mélanger beaucoup d’investisseurs et de partenaires étrangers. Il y a des transactions et des contacts qui se font. »
Quant aux avantages d’investir dans la métropole québécoise, M. Deforges indique que tous les éléments sont disponibles pour que le tout soit simplifié. « Montréal, quand on regarde les conditions propices au développement d’un secteur FinTech de classe mondiale, n’a absolument rien à envier à d’autres grands centres. On a besoin d’un secteur financier diversifié et complet. On a tout ça à Montréal et j’inclus les banques qui n’ont pas nécessairement leur siège social ici. Elles sont toutes membres de Finance Montréal, pareil pour les sociétés d’assurance. On a besoin de haute technologie et avec le Mila et le pôle de l’innovation, on a ça à Montréal. On a besoin de talents et on a quatre universités de classe mondiale, donc il y a vraiment un apport de talents qui est important. On a besoin de connexions faciles avec les grands centres financiers, et on a ça grâce à la proximité avec Toronto, Boston et autres. Et l’élément différenciateur : Finance Montréal a créé la Station FinTech. On a un hub qui aide les FinTech à réussir. Le Forum est une partie de notre offre, on a la station à la Place Ville-Marie qui compte 30 FinTech présentement, on a des missions, on a la chaire de recherche avec l’Autorité des Marchés financiers : ça c’est unique ».
Le gouvernement du Québec a également choisi d’investir 15,4M$ dans cette station d’entreprises au cours des sept prochaines années, ce qui devrait permettre d’ajouter de 15 à 20 firmes supplémentaires dans les bureaux agrandis. « Honnêtement, quand une FinTech ou quelqu’un qui veut innover regarde les conditions nécessaires pour réussir, on a des gros atouts à faire valoir », souligne M. Deforges.
Un domaine changeant
Pour le directeur général de Finance Montréal, les FinTech ont grandement changé au cours des dix dernières années. Des champs spécifiques ont pris davantage d’importance au fil du temps, comme l’intelligence artificielle ou la finance durable dans les innovations technologiques pour la finance. Il cite en exemple certains sujets abordés lors de panels du forum. « Nesto, qui est active dans les prêts hypothécaires, expliquait que des produits sont sur le point d’être lancés afin de récompenser les emprunteurs en fonction des gains énergétiques qui sont faits lors de modifications sur leur maison. Il s’agit d’un thème très important. Il y a aussi eu la présentation d’une FinTech qui offre des solutions pour les immigrants au Canada. Cela pourrait permettre aux citoyens qui arrivent au pays de ne pas forcément perdre leur historique de crédit même s’ils sont nouvellement arrivés. »
« Beaucoup d’innovations sont venues des biotech. De nombreuses entreprises qui sont maintenant de grandes sociétés ont commencé comme des biotech et elles ont des capitalisations boursières supérieures à beaucoup de grandes pharmaceutiques. Le même principe s’appliquera aux FinTech. »
– Jacques Deforges, directeur général de Finance Montréal
M. Deforges ajoute qu’il croit « que le secteur a beaucoup mûri avec les années, qu’il est mature dans le sens qu’il y a de vraies sociétés, des FinTech qui ont atteint des tailles gigantesques. Par exemple, pensez à Paypal, à Lightspeed, à Fiserv. Ce sont des compagnies qui ont des parts de marché énormes. Ça démontre le cheminement qui s’est fait. On avait même une des FinTech qui était en démarrage en 2016 et qui s’appelle Frinks. Ils avaient participé à un concours de pitch lors de notre Forum pour proposer leur plan d’affaires. Six ans après, ils sont commanditaires et conférenciers à l’événement. Ils ont été achetés en partie par la banque nationale pour 120 M$ il y a deux ans. »
L’évolution de la FinTech au cours des prochaines années pourrait donc passer par une trajectoire similaire à celle du secteur des biotechnologies, estime Jacques Deforges, qui a également œuvré dans ce milieu. « Beaucoup d’innovations sont venues des biotech. De nombreuses entreprises qui sont maintenant de grandes sociétés ont commencé comme des biotech et elles ont des capitalisations boursières supérieures à beaucoup de grandes pharmaceutiques. Le même principe s’appliquera aux FinTech. Pensez à Paypal, à des sociétés de cette nature. Les lignes vont se confondre, en fin de compte. Je pense qu’on est au début d’une explosion de besoins non satisfaits. Beaucoup de joueurs se demandent comment on peut incorporer des produits qui ont une plus grande valeur avec des coûts plus faibles en réponse à l’augmentation du coût de la vie, de l’inflation. Il y a des besoins qui sont en train de sortir en raison du contexte économique. »
Crédit Image à la Une : Le ministre de la Cybersécurité et du Numérique du Québec, Éric Caire, était au Forum FinTech Canada. (Facebook Éric Caire)