IA générative et droit d’auteur : où tracer la ligne ?

IA générative et droit d’auteur : où tracer la ligne ?

Vous avez sûrement déjà testé une plateforme utilisant l’intelligence artificielle (IA) pour vous permettre de créer des contenus. Mais les utiliser représente-t-il un risque juridique ? Pour aborder la question, CScience s’entretient avec l’avocat Vincent Bergeron, associé et agent de marques du cabinet montréalais Robic, spécialisé en propriété intellectuelle au Canada.

« Il y a très peu de jurisprudence pour le moment sur le sujet. Toutes les questions sont nouvelles, notamment de droits d’auteurs, car l’essor populaire de l’IA générative date de novembre 2022, lorsque ChatGPT a été accessible au grand public », indique Vincent Bergeron.

« En droit canadien, il faut un exercice de talent et de jugement de la part d’un être humain dans le processus créatif. »

– Vincent Bergeron, avocat associé chez Robic

Les interfaces en IA générative étaient avant réservées à des chercheurs ou des développeurs informatiques. Elles sont accessibles à tout le monde depuis un an et soulèvent des questions. « Sans dire que le droit est clair, les principes du droit d’auteur peuvent s’appliquer sur ces situations, si compliquées soient-elles. Les deux zones les plus problématiques en IA générative sont les données d’entrainement et le contenu généré par le modèle », explique l’avocat.

Les données d’entraînement

Vincent Bergeron

L’IA générative sert à créer des contenus, grâce à des algorithmes dont les secrets sont bien gardés. Les robots utilisent pour cela des données existantes. « La question est de savoir si cette méthode n’est pas une violation de droits d’auteurs à grande échelle, en allant s’entraîner sur des textes ou des images protégées », précise-t-il.

Google Books permet aux visiteurs de visionner des extraits de livres. Pour cela, Google a scanné des bibliothèques entières. Des auteurs avaient poursuivi Google entre 2005 et 2016. La Cour suprême américaine avait tranché en faveur du géant du web, arguant qu’il s’agissait d’une utilisation équitable, car Google Books ne montrait qu’une partie des œuvres.

« Dans le droit d’auteur américain, l’utilisation équitable (« fair use » ou « fair dealing ») est une exception très large et libérale, remarque Vincent Bergeron. Dans celui canadien, le ‘fair dealing’ est plus une exception circonscrite à des cas très précis comme la recherche, la critique, l’éducation ou la parodie. »

Les contenus et médias générés par l’IA

Peut-on avoir des droits d’auteur pour une musique, un texte ou une image que l’on crée avec l’aide de l’IA ? « Pour avoir une protection par droit d’auteur, il faut un auteur », stipule le juriste. Selon lui, un algorithme seul ne peut être actuellement considéré comme un auteur. Cela veut dire qu’un contenu généré « ne serait pas techniquement protégeable par droit d’auteur ».

Une solution de contournement est envisagée par certains créateurs. Quand ils utilisent l’IA pour les assister dans leur travail, ils estiment que la création n’est pas entièrement algorithmique, et qu’ils ont créé une œuvre dérivée qui peut être protégée par un droit d’auteur. « L’IA ne serait pour eux qu’un outil très puissant à la création, croit-il. En droit canadien, il faut un exercice de talent et de jugement de la part d’un être humain dans le processus créatif. »

La prudence doit rester de mise

« Nous accompagnons de nombreuses entreprises qui souhaitent mettre à profit des contenus générés pas l’IA générative. Nous évaluons les opportunités, les apports, mais également les risques, ce que cela comporte, et où se trouve leur tolérance au risque », souligne M. Bergeron.

Les versions publiques des outils gardent généralement un droit d’entrainement avec les données que vous allez saisir. Cela est inscrit dans les droits d’utilisation. Si vous entrez des données confidentielles ou sensibles, vous les aurez communiquées à une entreprise qui aura le droit de les utiliser. Il est donc conseillé de rester très prudent lors d’une utilisation professionnelle.
« Pour des utilisations assez anodines, comme demander un texte d’invitation amusant pour un cocktail, les risques demeurent assez faibles », ajoute-t-il.

La plupart des générateurs de visuels ne garantissent pas que les images créées ne soient pas en violation d’un droit d’auteur. Il convient de lire les conditions. Dans des versions payantes, il est possible d’ajouter des barrières de sécurité.

Des procédures en cours

Aux États-Unis, plusieurs recours collectifs ont été déposés en 2023 contre OpenAI et Microsoft, notamment par un regroupement d’écrivains américains, dont George R. R. Martin (Game of Thrones). Ils jugent entre autres que l’algorithme qui entraine le robot ChatGPT manie leurs œuvres sans leur consentement, en violation des droits d’auteur.
Des artistes ont intenté des procédures contre Midjourney, Stable Diffusion ou DreamUpded, alors que des maisons de disques, comme Universal, ont attaqué Anthropic. Le Center for AI and Digital Policy (CAIDP), une ONG, a déposé plainte auprès de l’autorité américaine de la concurrence, exigeant un meilleur encadrement de l’IA Générative, visant tout particulièrement ChatGPT-4.

Les dénouements de ces poursuites américains sont attendus. Mais il est possible que ces décisions soient interprétées de façon différente au Canada comme ailleurs dans le monde, en vertu des différentes législations. Les membres de l’Union européenne viennent de s’entendre ce 9 décembre sur un règlement (l’IA Act) des systèmes d’IA.
En attendant des réglementations plus précises, les plateformes et projets liés à l’IAG se multiplient. Dans la course menée par les géants, Google a lancé Geminini pour concurrencer ChatGPT. Meta a ouvert son générateur Imagine with Meta IA, Microsoft Bing IA Le créateur d’images.

Crédit Image à la Une : Sasun Bughdaryan (Unsplash) et Devrimb, istock

À lire également :

https://www.cscience.ca/2023/06/28/analyse-les-ia-generatives-et-chatgpt-au-service-de-la-creativite/