Neurotechnologies et implants cérébraux : un progrès considérable mais « effrayant »

Neurotechnologies et implants cérébraux : un progrès considérable mais « effrayant »

Le 13 juillet, lors de la Conférence internationale sur l’éthique des neurotechnologies à Paris, l’UNESCO a introduit un nouveau rapport, rappelant les retombées positives de l’innovation technologique en médecine neurologique, mais aussi l’importance de bien l’encadrer.

Qu’est-ce que la neurotechnologie et que permet-elle ?

La neurotechnologie permet une meilleure compréhension des processus complexes du cerveau. « Dans les deux dernières décennies, le progrès a été incroyable. Nous pouvons maintenant mieux diagnostiquer des maladies, contrôler l’activité cérébrale », se réjouit Gabriela Ramos, sous-directrice générale de l’UNESCO pour les sciences sociales et humaines.

La neurotechnologie aide entre autres à restaurer l’ouïe chez des malentendants, à traiter certaines formes de la maladie de Parkinson, et à contrôler les comportements dangereux liés aux troubles alimentaires.

Plus d’1 G$ a été investi dans Neuralink pour le développement d’implants cérébraux améliorant la mémoire

– UNESCO

L’intérêt pour les neurotechnologies se fait sentir, alors que l’UNESCO note une augmentation marquée des publications en lien avec ces technologies depuis 2021. Des recherches montrent également qu’il y a eu une « augmentation de 700 % des investissements dans les entreprises de neurotechnologie de 2014 à 2021, portant le montant total des investissements à 33,2 milliards de dollars ». Plus d’un milliard de $ a été investi dans Neuralink pour le développement d’implants cérébraux améliorant la mémoire, et Facebook a dépensé un montant similaire pour la création de ses lunettes de réalité augmentée.

Malgré cet engouement indéniable pour ces nouvelles technologies, l’UNESCO évoque l’importance de les encadrer : « Ces perspectives sont superbes, mais elles sont simultanément très effrayantes si nous ne les encadrons pas correctement (…) Cela modifierait profondément certaines caractéristiques humaines centrales liées à la liberté de pensée, à l’intégrité mentale, à l’agence individuelle », explique Gabriela Ramos.

C’est pourquoi la nouvelle publication de l’UNESCO, intitulée « The risks and challenges of neurotechnologies for human rights » (Les risques et défis neurologiques pour les droits humains), met en lumière « les enjeux (entourant) la neurotechnologie, afin d’assurer l’impact positif de celle-ci » et la nécessité de réfléchir à l’éthique de ces technologies innovantes.

L’éthique et la loi

Crédit photo: Pixabay

« Certains des enjeux soulevés dans le rapport sont l’intégrité intellectuelle, la dignité humaine, l’autonomie humaine, l’accessibilité de ces technologies et la justice sociale », souligne Emily Cross, membre du comité international de bioéthique de l’UNESCO.

« L’activité mentale est la partie la plus intime de l’être humain et doit être protégée contre toute ingérence illégitime. »

– Emily Cross, membre du comité international de bioéthique de l’UNESCO.

Au sein du rapport, les préoccupations éthiques sont nombreuses et variées. Si la neurotechnologie peut sembler intrusive, l’UNESCO lutte afin de protéger l’intimité mentale des utilisateurs : « l’activité mentale est la partie la plus intime de l’être humain et doit être protégée contre toute ingérence illégitime », croit Mme Cross.

Pour qu’elles soient complètes, les lois entourant la neurotechnologie devraient prendre en considération les notions de consentement, de liberté de pensée, de liberté cognitive et de libre arbitre, selon le rapport.

La gouvernance des neurotechnologies et des recommandations

Ces préoccupations éthiques demandent la protection des neurodroits des humains. « Le droit de profiter des bénéfices des progrès scientifiques en neuroscience et le droit de décider librement et responsablement des questions liées à l’utilisation de la neurotechnologie, sans forme de discrimination, de coercition ou de violence » en sont deux exemples.

Même si la neurotechonologie évolue continuellement et que sa régulation est ardue, il y a urgence d’agir, estime Carme Artigas, secrétaire d’État à la numérisation et à l’intelligence artificielle. « Quand on parle de neurodroits, nous ne pouvons attendre de voir les résultats et les impacts de ces décisions pour ensuite les corriger. Le mal existentiel potentiel pour les êtres humains, nous ne pourrons pas le renverser si nous ne pouvons pas le prévenir à l’avance », avance Mme Artigas.

Le rapport de l’UNESCO soulève différents défis pour la gouvernance des neurodroits et neurotechnologies. L’interprétation et l’application des instruments existants dans le corpus des droits de l’homme sont à revoir : « il faut revisiter ce corpus pour, de façon explicite, y voir exister les neurodroits », lance Hervé Chneiweiss, directeur au Centre de recherche Neurosciences Paris Seine.

On mentionne aussi l’importance de conférences comme la Conférence internationale sur l’éthique des neurotechnologies : il est essentiel d’organiser un dialogue global pour que ces différents droits ne soient pas que théorie, mais des droits posés, tout particulièrement dans leur nature et leur substance, quand cela concerne les droits de l’homme », ajoute-t-il.

Le rapport en arrive aux recommandations suivantes :

  1. Tous les êtres humains ont droit à la protection de leurs activités cérébrales, quels que soient leur race, leur sexe, leur statut socio-économique et leurs capacités cognitives.
  2. Les données cérébrales obtenues à partir de, avec ou via la neurotechnologie ne doivent jamais être utilisées pour la surveillance ou le profilage sans un consentement éclairé approprié, et jamais pour une discrimination potentielle basée sur des caractéristiques mentales ou autres.
  3. Les utilisations de la neurotechnologie par des acteurs étatiques et non étatiques devraient être examinées pour d’éventuelles violations des droits de l’homme
  4. Promouvoir la diffusion de l’information, l’éducation et le dialogue sur la neurotechnologie est d’une importance primordiale pour garantir une utilisation responsable et éthique.

L’importance du dialogue

« Nous sommes tous tellement impressionnés par le développement technologique, les promesses sont incroyables, mais il faut garder en tête que ce n’est pas une discussion technologique, c’est une discussion sociétale. Tous les orateurs pointent vers la question suivante : comment encadrons-nous le problème de manière à ce que chaque fois que nous progressons dans les technologies, elles contribuent à résoudre les problèmes et non à en créer d’autres ? », questionne Gabriela Ramos.

« Comment encadrons-nous le problème de manière à ce que chaque fois que nous progressons dans les technologies, elles contribuent à résoudre les problèmes et non à en créer d’autres ? » – Gabriela Ramos, sous-directrice générale de l’UNESCO pour les sciences sociales et humaines

Pour répondre à cette question, la place de la discussion est centrale. « Il est importance d’avoir une approche basée sur un écosystème. Le secteur privé, les investisseurs, les startups, les grandes compagnies, tous doivent être engagés et prendre part aux discussions dès que possible pour les standards que nous créons sont conçus pour avoir un impact aujourd’hui et dans le futur », mentionne Amandeep Singh Gill, envoyé du Secrétaire général des Nations Unies pour la technologie.

« Les experts et spécialistes doivent aussi avoir ces dialogues avec le public pour fixer les attentes et s’assurer que le public est informé des actions que nous prenons maintenant et prendrons demain », rappelle Emily Cross.

Dentisterie : l’intelligence artificielle a les dents longues

Crédit Image à la Une : À gauche : Conférence de l’Unesco sur l’éthique en neurotechnologie (Photo : capture d’écran). À droite : Bret Kavanaugh/Unsplash.