IA et droit : les enjeux actuels et futurs au Québec, au Canada et dans le reste du monde

IA et droit : les enjeux actuels et futurs au Québec, au Canada et dans le reste du monde

Détectant ma passion pour le droit et mon intérêt toujours croissant pour les technologies de l’information, les bons algorithmes de recommandation m’ont poussée à participer au Symposium 2024 de la Revue de droit de McGill, quelques jours après la publication du rapport Prêt pour l’IA déposé par le Conseil de l’Innovation du Québec (CIQ), dont j’ai également assisté au lancement virtuel. De quoi nourrir ma réflexion quant aux enjeux actuels et futurs auxquels s’attarder en contexte de déploiement de l’intelligence artificielle, et de bases réglementaires fragiles.

Briser les silos entre experts

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En ouverture du Symposium, Peer Zumbansen, professeur et chercheur à McGill, a fait référence au rapport à plusieurs reprises. Preuve d’un état d’esprit ouvert et collaboratif de la part de McGill avec le gouvernement du Québec, et ce, malgré les présentes circonstances politiques…

Je m’en réjouissais, jusqu’à ce que je découvre qu’aucun échange n’avait en fait eu lieu entre le CIQ et la faculté de droit de McGill…

Même qu’en lisant le rapport du CIQ, j’ai réalisé que le Barreau du Québec ne faisait pas partie du « réseau d’acteurs engagés dans la gouvernance de l’IA », dont la liste est affichée en page 39 :

La geek en moi a alors soulevé cette interrogation à travers une intervention remarquée dans la salle, où l’on a, heureusement, semblé interpellé et satisfait de mon apport. Phew!

Un sommaire

Je précise que parmi les panélistes, on comptait des professeurs et chercheurs issus des grandes universités canadiennes. Seule la Colombie-Britannique manquait à l’appel…

Il y avait aussi des praticiens du droit, qui exercent dans de grands cabinets et enseignent à l’université en parallèle. Les universités de Montréal et de Laval étaient présentes. Les remarques de clôture par le sous-commissaire du volet Politiques et promotion du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, encapsulaient cette journée.

Les sujets abordés

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De multiples sujets très pertinents, je dirais même viscéraux, ont été abordés, dont quelques thématiques relevées des sommaires de documents de recherche :

  1. Évaluation de la gestion algorithmique sous l’angle des droits de la personne et de l’impératif des devoirs de codétermination ou cogestion des directions et administrations pour tous types d’employés de sociétés à capitaux fermés ou ouverts sous l’égide d’un CA ;
  2. Technique d’hypertrucage ou de contrefaçon profonde (deepfakes) sur le genre, la vie privée et les images synthétiques intimes.

On a aussi abordé les zones d’intervention de la loi auprès des extrants en IA générative, dans un contexte où un utilisateur utilise le prompt engineering, consistant à produire des contenus relevant de l’hypertrucage, pour ensuite les distribuer sur le web :

  1. L'(Il)légalité de la tarification personnalisée algorithmique : Les limites des présents cadres réglementaires de l’antidiscrimination et de l’IA sont à revoir et évaluer ;
  2. Avorter à l’ère numérique : reconcevoir une justice sociale pour l’exercice d’un droit entravé à la suite du renversement de Roe v Wade aux É-U. Des risques existent au Canada ;
  3. Déléguer l’autorité au système? L’extériorisation de la fonction judiciaire, la multiplication des causes et le dé-agencement des juges : les retombées inattendues du déploiement de l’IA en justice ;
  4. Organisation autonome décentralisée (DAO) : où décentralisation rime avec dé-responsabilisation. La plupart des DAOs ne s’associent à aucune forme juridique en particulier. Par défaut, elles sont considérées comme des sociétés en nom collectif et des sociétés en participation, donc des associations sans personnalité morale. Comment légiférer et appliquer les lois par la suite ? ;
  5. Remettre en question le « nouveau code Jim » (inspiré des Lois ségrégationnistes Jim Crow aux É-U) : Démasquer les préjugés raciaux dans l’IA en reconnaissance faciale dans le contexte de l’immigration canadienne ;
  6. L’IA responsable : des binaires qui se lient. Dans ces situations l’intelligence artificielle (IA) travaille avec d’autres outils externes tels que le code civil au Québec à titre d’exemple. Comment cette intégration sera faite vers une décision solide, explicable et justifiable. ;
  7. Biais et discrimination dans la prise de décision en matière d’IA : leçons de R. v. RDS en utilisant une cause entendue à la cour Suprême du Canada en 1997 pour amener le débat sur la table et les possibles et nombreuses contestations dans notre cadre juridique. 

Le titre du Symposium, « Réimaginer la justice : Le pouvoir de réparation et de division de l’intelligence artificielle (IA) ( Reimagining Justice: Artificial Intelligence (AI)’s Power for Redress and Division) », décrivait très bien les sentiments éprouvés au cours de la journée, alors que nos échanges tanguaient entre optimisme et inquiétude. 

Le principe fondamental de l’humain dans la boucle (human in the loop) a longuement été débattu. Nous avons obtenu le consensus à l’effet que le domaine du droit devait se doter de nouvelles méthodologies et pratiques afin que tous les praticiens et académiques puissent s’intégrer avec robustesse, transparence et clarté à la grande sphère de l’IA. 

Les erreurs du passé, principalement avec les GAFAM, sont le gage du constat sur la relation difficile, pour ne pas dire brumeuse, qu’entretiennent le droit et les technologies de l’information depuis l’avènement du web.

Les prochaines étapes

Le professeur  Zumbansen –  membre organisateur du symposium – et moi avons échangé nos coordonnées. Une première rencontre aura lieu sous peu afin d’élaborer un plan d’action, pour amener les acteurs du droit et du CIQ à la même table, et RAPIDEMENT. 

Si le Québec désire conserver sa place tant convoitée comme acteur vital et équilibré en IA, il faut entièrement éliminer les SILOS entre nous et nommer un chef d’orchestre impartial, responsable de l’agglomération, de la curation, de la compréhension et enfin de la diffusion des travaux de TOUS LES ACTEURS-CLÉS DU QUÉBEC.

Crédit Image à la Une : freepik

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