[PME] L’IA pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre

[PME] L’IA pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre

La persistance de la pénurie de main-d’œuvre au Québec met en évidence la nécessité d’explorer des pistes de solutions innovantes. Alors que l’intelligence artificielle (IA) et l’inclusion de la diversité se présentent comme des avenues prometteuses, les petites et moyennes entreprises (PME) rencontrent des défis liés à leur adoption de ces solutions innovantes, spécifiques de leur propre réalité.

Le nombre de postes vacants au Québec est en légère baisse (près de 254 000 postes vacants en 2022 contre près de 176 000 en 2024). Cependant, différents indicateurs pointent vers une forte pénurie de main-d’œuvre, explique Madeleine Martins, directrice générale de SKEMA Canada, lors de la conférence Pénurie de main-d’œuvre : quels rôles peut jouer l’IA ? du 29 février. « Le taux de postes vacants est passé de 6,4% à 4,3%. Là encore, on a une amélioration, mais un taux qui se situe entre 4 et 6% est considéré comme étant fort. Donc, à priori, on est toujours en situation de pénurie de main-d’œuvre », précise-t-elle.

Selon les prédictions pour la période 2023-2027 du rapport État d’équilibre du marché du travail à court et à moyen termes : diagnostics pour 516 professions, 260 de 516 professions évaluées seront en déficit et en léger déficit à l’échéance de cette période.

Portrait d’une pénurie qui refuse de s’atténuer

Sans étonnement, la courbe démographique du Québec, comparable à celle de la Colombie-Britannique et du Japon, est grandement responsable de cette crise. En 2023, selon les données de Statistiques Canada, environ 35% de la population serait âgée de plus de 55 ans, contre 39% pour les 25-54 ans.

Conférence "Pénurie de main-d’œuvre : quels rôles peut jouer l’IA ?"

Conférence Pénurie de main-d’œuvre : quels rôles peut jouer l’IA ? (Photo : Roxanne Lachapelle)

« 13 régions administratives sur 19 ont un taux de chômage inférieur à 4,5%. Lorsqu’on parle d’un tel taux, inférieur à 5%, on parle d’une situation de plein emploi (…) Cette réalité fait en sorte qu’un employeur sur deux refuse de nouveaux contrats parce qu’il manque de main-d’œuvre, et près d’un employeur sur deux reporte ou abandonne des projets d’investissement pour les mêmes raisons », expose Karl Blackburn, président du Conseil du patronat du Québec (CPQ), lors de la conférence.

Selon lui, cette pénurie n’est pas près de s’essouffler. Le CPQ estime que l’atteinte d’une stabilité de la courbe démographique n’aurait lieu qu’en 2034, et qu’une inversion de cette courbe n’aurait lieu qu’en 2056. « C’est extrêmement préoccupant, et ça a des conséquences économiques, poursuit M. Blackburn. Ce sont des milliards de dollars qui sont perdus chaque année dans notre économie parce qu’on manque de main-d’œuvre. »

L’IA comme solution : un enjeu pour les PME

Pour M. Blackburn, le recours à l’IA s’avère être une option intéressante pour répondre aux défis de main-d’œuvre des entreprises du Québec, amenant nombre de possibilités. Elle peut notamment améliorer les processus internes d’une entreprise : optimisation de la fabrication, réduction des coûts de production, traitement de données, minimisation des tâches répétitives effectuées par les employés, prédiction du type d’employés dont aura éventuellement besoin une compagnie, efficacité générale, etc.

L’IA commence d’ailleurs à se tailler une place importante dans le marché du travail. Le Répertoire sur l’adoption de l’IA générative révèle que 26% de 879 Québécois sondés utilisent fréquemment des outils d’IAG au travail.

Cependant, même si un nombre grandissant d’employés en font usage au travail, l’application et la mise en place de systèmes plus complexes d’IA sont chose difficile pour les PME.

M. Blackburn rappelle que « nous sommes au royaume des PME. 98% des entreprises québécoises sont des PME (500 employés et moins). 80% de ce nombre sont de très petites PME de 5 employés et moins. Il y a là un spectre très large de petites entreprises, ce qui veut dire que dans certains cas, les moyens sont plus limités pour mener cette importante transition. »

« Quand on ne pense pas que son emploi va beaucoup changer, on ne mesure pas assez à quel point il va falloir s’investir pour aller chercher ces nouvelles compétences. Il y a tout un éveil qui va devoir se faire. »

– Tania Saba, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal

Il ajoute que, selon un rapport de Dell Technologies et l’Institut pour le futur, 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore, et que 90% des métiers nécessiteront des compétences numériques. Puisqu’une personne sur deux au Québec a des enjeux de littératie numérique et que les compétences numériques sont inégales selon l’accessibilité aux technologies, le besoin de chercher à obtenir une meilleure formation numérique devient primordial.

« Quand on ne pense pas que son emploi va beaucoup changer, on ne mesure pas assez à quel point il va falloir s’investir pour aller chercher ces nouvelles compétences. Il y a tout un éveil qui va devoir se faire », lance Tania Saba, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal.

« Plus que jamais, la formation continue doit faire partie de votre quotidien. Cette formation va vous amener à ouvrir des portes extrêmement importantes », complète Karl Blackburn.

Au-delà de l’IA : la place de la diversité

D’ici 2031, il faudra 1,6 million d’employés pour remplacer ceux qui prendront leur retraite. M. Blackburn avance que l’IA sera insuffisante pour répondre à cette crise. Les jeunes et les immigrants constituent une importante partie de la solution, tout comme le fait de mettre en place des mesures pour favoriser l’inclusion des « gens un peu plus éloignés du marché du travail ». On entend par là les travailleurs expérimentés à la retraite, les femmes (dans certains secteurs), les Premières Nations, les personnes en situation de handicap (PSH), etc.

« Il n’y a pas un seul bassin de personnes qui peut aider à atténuer les enjeux de la pénurie de main-d’œuvre, mais plutôt une multitude d’opportunités et de possibilités, en bout de ligne, de nous aider à passer au travers », croit le président du CPQ.

En plus d’insister sur l’importance de mettre en place des mesures pour faciliter l’inclusion de la diversité sur le marché du travail, Tania Saba note l’importance de cette diversité pour un développement responsable des technologies.

« Il n’y a pas un seul bassin de personnes qui peut aider à atténuer les enjeux de la pénurie de main-d’œuvre, mais plutôt une multitude d’opportunités et de possibilités , en bout de ligne, de nous aider à passer au travers. »

– Karl Blackburn, président du Conseil du patronat du Québec (CPQ)

« L’IA, les algorithmes se développent dans des entreprises de toutes tailles, et sont appliqués dans des organisations tout autant variées. Ni les unes ni les autres ne sont encore vraiment des organisations diversifiées. La sous-représentation est encore très importante, notamment relativement aux femmes, souvent absentes de certains conseils d’administration et d’équipes de direction – les statistiques en attestent –, aux personnes d’origines ethniques diverses, aux Premières Nations, et aux personnes en situation de handicap. »

Mme Saba ajoute qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire, considérant que « quand on pose la question aux entreprises, au Québec et au Canada, 30% disent ne pas avoir ou ne pas vouloir implanter des pratiques pro-équité. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, mais les entreprises ne savent pas comment le faire. Il y a beaucoup d’aide à leur apporter en ce sens. »

Crédit Image à la Une : Roxanne Lachapelle