Dans le paysage contemporain de la durabilité et de la responsabilité environnementale, l’économie circulaire se profile comme une approche révolutionnaire, tel un guide vers un avenir plus équitable et durable, propulsé par la recherche et la transmission des savoirs. Mais allant bien au-delà du simple acte de recycler, l’économie circulaire reste souvent confondue avec cette pratique par le grand public. Pour en démystifier le concept et les bienfaits, CScience s’entretient avec deux experts issus d’organisations phares de la mise en place de cette synergie.
Chaque année, il y a un peu plus de 100 Gt de ressources qui entrent dans l’économie mondiale, dont seulement 8,6 % proviennent de ressources déjà utilisées. « On parle donc de plus de 91 Gt de ressources extraites sur le marché, et elles sont limitées », nous le rappelle Daniel Normandin, directeur du Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) et directeur exécutif du Réseau de recherche en économie circulaire (RRECQ). « La solution réside donc dans la circularisation des ressources, le plus localement circonscrite possible afin d’en limiter le transport polluant sur de longues distances, et la pérennité au sein de l’économie locale. »
Le positionnement du Québec : entre progrès et défis
L’économie circulaire en est une où rien n’est gaspillé et qui, contrairement au modèle linéaire, permet d’optimiser l’utilisation des ressources à chaque étape du cycle de vie de ce qui en est produit. « À défaut d’être nouvelle, l’économie circulaire est une forme d’économie à laquelle beaucoup de pays et de communautés ont adhéré, en développant des routines de circularisation », entame en entrevue Louise Poissant, directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC). Or, selon elle, bien que la recherche dédiée aux questions de circularité y foisonne, le Québec accuse un certain retard qui ne pourra être rattrapé qu’avec l’instauration de nouvelles réglementations, notamment à l’échelle des municipalités, forçant le remodelage fondamental de nos modèles industriels et de nos comportements de consommation.
« Au Québec, comme dans l’ensemble du Canada et de l’Amérique du Nord, nous appartenons à une économie où les ressources naturelles comme l’eau, l’énergie et le bois sont abondantes, ce qui fait que l’on n’a pas développé de réflexes de circularisation (…) »
– Louise Poissant, directrice scientifique du FRQSC
« Au Québec, comme dans l’ensemble du Canada et de l’Amérique du Nord, nous appartenons à une économie où les ressources naturelles sont abondantes, ce qui fait que l’on n’a pas développé de réflexes de circularisation et que l’on est très en retard par rapport aux pays d’Asie et d’Europe en ce sens, bien que la province soit en passe de devenir un leader nord-américain dans le domaine. »
« Le Québec est assurément le territoire le plus avancé en économie circulaire en Amérique du Nord. »
– Daniel Normandin, directeur du CERIEC et directeur exécutif du RRECQ
Pour sa part, en tant que biologiste et administrateur de formation, puis directeur du CERIEC qu’il a fondé à l’ÉTS, Daniel Normandin soutient sans équivoque que « Le Québec est assurément le territoire le plus avancé en économie circulaire en Amérique du Nord », bien que la Chine en soit le pays dominant à l’échelle planétaire. Il salue le chemin parcouru au Québec depuis les dix dernières années.
« En 2013, alors que je commençais à m’intéresser à l’économie circulaire, j’ai constaté qu’il n’y avait aucune initiative ni aucune publication s’y rapportant sur les plans gouvernemental, entrepreneurial et universitaire en Amérique du Nord. On se limitait aux stratégies de recyclage et d’économie industrielle de manière détachée », d’amener celui qui est également directeur exécutif du RRECQ, lancé en 2021 par les FRQ, au sein duquel il travaille justement de concert avec les chercheurs à développer « des unités de recherche à interfaces avec les sociétés civiles, industries et gouvernements, pour que la recherche soit transférée vers les utilisateurs, et pour la faire avancer dans des secteurs sous-optimisés, notamment grâce à des programmes de financement ».
Très vite, le Réseau est passé d’un peu plus d’une centaine de chercheurs à plus de 230, issus de 18 universités du Québec et du Canada, et d’autant d’autres à l’extérieur, ce qui renforce « une relève que les gouvernements soutiennent à travers des efforts marqués », de compléter la directrice scientifique.
Au chapitre des acteurs centraux de l’économie circulaire, Mme Poissant évoque aussi le Groupe interministériel de l’économie circulaire (GIEC), qui se consacre à voir à son implantation dans chaque ministère, et l’organisation Recyc-Québec, qui joue un rôle prépondérant dans la promotion de la gestion responsable des matières résiduelles au Québec, puisqu’elle s’engage activement à promouvoir, développer et faciliter la réduction, le réemploi, la récupération et le recyclage des contenants, emballages, matières et produits, tout en œuvrant pour leur valorisation afin de préserver les ressources naturelles.
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Beaucoup plus que du recyclage…
C’est donc que l’économie circulaire intègre les principes de recyclage, mais aussi beaucoup d’autres formes de procédés, qui réaménagent les systèmes de production. M. Normandin explique que l’économie circulaire se décline en trois axes stratégiques : 1) la conception et la production de produits plus économes en ressources, ces dernières idéalement renouvelables, 2) l’usage de composantes récupérables et moins toxiques dans la production de produits qui soient démontables, réparables et plus résistants et partageables, et 3) la production additive, à partir de poudres de polymères.
Si la fabrication additive (FA) ou l’impression 3D, pratiquée à l’ÉTS, et qui consiste en l’ajout de matière assistée par ordinateur, est très répandue dans plusieurs secteurs industriels relevant des matériaux polymériques, sa popularité s’étendrait de plus en plus aux matériaux métalliques. « Grâce à l’essor de la fabrication additive, on parle même de révolutionner le secteur de la construction et de maisons imprimées en 3D ! », d’illustrer le directeur du CERIEC.
Le fabricant d’imprimantes 3D italien WASP, par exemple, s’est associé à Mario Cucinella Architects pour développer TECLA, un type de maison circulaire imprimée en 3D, et créée à partir de matériaux recyclables et entièrement réutilisables.
Mme Poissant évoque « la valorisation des produits à travers divers procédés : la symbiose industrielle, qui consiste à développer des zones industrielles où une industrie peut récupérer les déchets et rebuts d’une autre et en faire de nouveaux produits ; la décontamination des sols par la mycoremédiation, reposant sur l’usage de champignons appelés pleurotes, afin de remettre en état des sols pollués qui pourraient servir à l’agriculture ou à construire des bâtiments ; le reconditionnement d’objets et le réusinage – un domaine qui nous réussit bien lorsqu’il s’agit de récupérer des matières plastiques et d’en faire ou rafistoler des bains tourbillons ; l’aquaponie, une forme d’agriculture qui se développe de plus en plus notamment dans le nord du Québec, et qui consiste à mettre des poissons dans de grands bassins pour en récupérer les déchets afin de nourrir des algues utiles, etc. Sinon, lorsqu’on parle de re-transformation plutôt que de récupération, il y a ce qu’on fait des écorces de crevettes dans le secteur du bioplastique. »
De l’idée à l’action : l’économie circulaire, un geste à la fois
Le rôle des technologies de rupture
Bien que l’on associe souvent la croissance du secteur technologique à la notion de gaspillage d’énergie, Mme Poissant rappelle que beaucoup de technologies de rupture issues de la recherche et de l’innovation contribuent à renforcer le modèle synergique relevant de l’économie circulaire, ouvrant de nouvelles perspectives dans le domaine. Pensons aux données massives, à la modélisation, aux drones, aux capteurs, à la robotique, à l’intelligence artificielle et aux objets connectés.
« Le champ qui relève du fait de transmettre à la population le message selon lequel l’adoption de nouvelles pratiques est l’affaire de tous est sans doute le plus difficile à pénétrer. »
– Louise Poissant, directrice scientifique du FRQSC
« Ces technologies permettent notamment la traçabilité de certains objets, tels que les métaux rares, de les repérer et de les ré-usiner pour en faire des batteries. En agriculture, réputée pour sa grande consommation d’eau, on se sert de drones pour connaître le taux de pénétration de l’eau au cours de l’arrosage, savoir si elle se rend aux racines et déterminer si l’on ne devrait pas cesser d’arroser certaines zones pour rien, afin d’optimiser le processus et d’en éviter le gaspillage. On peut aussi penser aux capteurs et objets connectés qui, lorsqu’ils ne nous aident pas à suivre le cycle de vie de certains matériaux, permettent l’économie et la récupération d’énergie. Pensons à l’usage de senseurs dans les poubelles afin de mieux en gérer le ramassage, ou à l’optimisation du chauffage urbain, qu’il s’agisse de bâtiments, d’usines, ou du métro par exemple, grâce aux données massives », de compléter la directrice scientifique.
Pour la traçabilité
« On a besoin de la technologie, ne serait-ce que pour tracer les ressources dans la chaîne de valeur, savoir où elles sont rendues, dans combien de temps elles seront accessibles et dans quel état elles se trouvent », amène M. Normandin, qui souligne l’apport des jumeaux numériques qui trouvent résonance en contexte d’économie circulaire et de simulation. « Par exemple, si vous avez un produit en boucle fermé chez un manufacturier, tel qu’un lave-vaisselle, ce dernier sera retraçable par son fabricant grâce à une puce ou un traceur, qui lui indique sa localisation, son état, le nombre de cycles qu’il a fait, le temps qu’il reste à sa pompe avant de lâcher, etc., et il sera possible d’en faire l’entretien préventif. La traçabilité est un enjeu clé de l’économie circulaire. »
Un déséquilibre dont il faut prendre conscience
Mais selon Mme Poissant, plus que de technologies, l’économie circulaire dépendrait surtout de l’éducation, du changement des habitudes et de la routine, et des règlements, à tous les paliers de gouvernance, incluant celui des municipalités.
Mais dans quelle mesure faut-il se doter de politiques nationales ? Est-ce que certains secteurs arrivent à s’auto-réguler vers cette interdépendance ? « Là où le bas blesse, c’est dans la façon d’établir le coût des ressources, entame Daniel Normandin. Les réflexes sont malheureusement de considérer essentiellement les coûts économiques et non environnementaux ou sociaux, ce qui crée un décalage entre le puits réel et celui de nos ressources, et revient à vivre à crédit. Et ce sont les générations qui nous succéderont qui en paieront le gros prix. »
Pour consulter notre dossier spécial sur l’économie circulaire :
Crédit Image à la Une : Archives, montage CScience