Marie-José Montpetit : L’art de manier les données et les neurones

Marie-José Montpetit : L’art de manier les données et les neurones

CScience a rencontré l’ingénieure Marie-José Montpetit, dont l’innovation et l’expertise en intelligence artificielle sont fascinants ! Regard sur son parcours et sa vision de l’IA…

Suite aux recherches en IA appliquée qu’elle a menées notamment au MIT, la québécoise Marie-José Montpetit développe une approche innovante d’internet, qui combine l’informatique de périphérie, l’internet des Objets et les réseaux de neurones artificiels. Son travail s’appuie sur une combinaison des technologies web sémantique et du traitement de données, sur des plateformes de périphérie ouvertes (Open-Source), pour construire à la fois des applications innovantes, mais aussi assurer leur fiabilité. Pour offrir plus de sécurité, cette approche utilise la localité, la mise en cache et la composition des réseaux. Pour optimiser les services, elle combine la capture, la production, la diffusion et l’analyse des données, une intégration riche et très innovante !

Une architecte de notre agriculture verticale

Marie-José Montpetit fut l’une des architectes (Lead System Designer) et l’une des conceptrices du projet CERVEAU, rattaché à l’entreprise Ferme d’Hiver. Fondamental dans le maintien du contrôle des fermes verticales, le projet CERVEAU est un effort fédéré pour le développement d’IA servant à l’automatisation des salles de contrôle de Ferme d’Hiver. Dans la ferme intérieure, tout est contrôlé pour cultiver, à la verticale, des fraises d’hiver. Le soleil, la pluie et le vent sont reproduits à l’aide de systèmes d’ingénierie.

Un parcours fascinant

En 1996, forte de son doctorat en génie électrique et informatique de l’École Polytechnique de Montréal, Marie-José se plonge dans le monde d’Internet, en travaillant pour des startups aux États-Unis. Elle est amenée a développer des systèmes distribués intelligents qui se parlent entre eux.

En 2009, elle intègre le laboratoire des sciences informatiques du MIT, pour y développer des systèmes distribués intelligents pour le format vidéo. C’est Yves Daoust, fondateur de Ferme d’Hiver, qui la convainc de revenir au Canada en 2020.

Marie-José Montpetit, rencontrée près du Mila, par CScience. (Photo : Patricia Gautrin)

En parallèle, Marie-José Montpetit s’intéresse à la transformation d’Internet en réseaux programmables (Computing in Internet Network) et aux applications qui peuvent en découler, notamment en différents jumeaux numériques. Ce sont des applications dites : « AI for networking and networking for AI » (l’IA, pour la mise en réseau et la mise en réseau, pour l’IA), mentionne Marie-José.

Depuis 2022, l’ingénieure est associée de recherche pour l’Université de l’Iowa. Elle est consultante et enseigne sa rare compétence à Paris pour Telecom Paris Sud. Elle fait également partie du Comité des leaders en IA de pratique pour IVADO.

Son constat sur l’avenir de l’IA

Assise sur un banc au cœur du Parc de la Petite-Italie, non loin du Mila, Marie-José Montpetit nous raconte qu’elle regrette l’immense dichotomie qui tend à s’installer entre ceux qui pensent que « l’IA va sauver le monde » et ceux qui craignent que « l’IA menace l’humanité ». Les opinions radicales sont toujours un peu malveillantes, par rapport à leurs opposés. Alors qu’on reproche aux uns de ne pas se soucier du futur, on reproche aux autres de faire preuve d’inertie. Les esprits inventeurs se cognent aux esprits conservateurs et vice versa. Il en a toujours ainsi, mais ce débat semble crucial, car il bouscule notre conception de l’intelligence humaine elle-même et notre rapport à la création. « Il faut briser les deux solitudes », selon elle.

«Nous pouvons construire un avenir où les outils alimentés par l’IA nous épargneront à la fois un travail insensé et interminable, et nous conduiront à des percées scientifiques qui autrement prendraient des décennies.»

– Eric Schmidt, ancien PDG de Google

Marie-José suggère alors d’adopter un discours plus nuancé, qui devrait être porté, nous dit-elle, par les experts en droit, en gouvernance des données et en éthique, plus que par des programmeurs.

La vision d’Eric Schmidt : un point de vue qu’elle partage

Elle indique les propos bien équilibrés d’Eric Schmidt, dans son papier This is how AI will transform the way science gets done : « Nous pouvons construire un avenir où les outils alimentés par l’IA nous épargneront à la fois un travail insensé et interminable, et nous conduiront à des percées scientifiques qui autrement prendraient des décennies. »

Ne pas sous-estimer l’importance du rôle humain

Eric Schmidt, ancien PDG de Google

Selon l’expert Eric Schmidt, les outils d’IA ont un potentiel incroyable, mais nous devons identifier l’importance du rôle humain. Il donne l’exemple de la robotique, en expliquant pourquoi « beaucoup de connaissances tacites, que les scientifiques apprennent dans les laboratoires, sont extrêmement difficiles à transmettre à la robotique alimentée par l’IA ». Cet apprentissage ne devrait pas être délégué à la technologie.

Dans cette perspective scientifique, l’expert mentionne notre devoir d’interprétation face aux hallucinations qui sont produites par les modèles de langage artificiel actuels. Il faudra veiller, par exemple, à ne pas entraîner les systèmes vers de fausses analyses, en fournissant trop hâtivement les documents de recherches scientifiques aux engins conversationnels ouverts. Nous devons maintenir la valeur du langage scientifique.

Un monde scientifique bousculé

Suivant une bonne gouvernance, « l’IA pourra mener des expériences plus rapidement, à moindre coût et à plus grande échelle », affirme Eric Schmidt. D’après lui, la domination actuelle de l’industrie par les grands joueurs ne durera pas. Car, grâce aux ressources qui sont ouvertes (Open-Source), « nous commençons à voir un modèle apparaître, qui incite premièrement, l’industrie à atteindre certains repères, puis deuxièmement, qui fait intervenir le milieu universitaire, pour en affiner les concepts ». Le monde universitaire est alors mieux protégé des pressions du marché, ce qui lui permet de « s’aventurer au-delà des problèmes bien définis et des succès mesurables » qui attirent les grands joueurs.

Comme l’IA réduit le coût et l’effort d’exécution des expériences, « il sera dans certains cas plus facile de reproduire les résultats, ou de conclure qu’ils ne peuvent pas être reproduits, et de contribuer ainsi à maintenir une confiance dans la science ». L’auteur en conclut, de manière positive, que l’IA est « expansive et qu’elle nous permettra de combiner des informations de manière novatrice et d’amener la créativité et le progrès de la science vers de nouveaux sommets ».

Une étape pour notre civilisation

Marie-José Montpetit est en accord avec la position scientifique d’Eric Schmidt. Elle est également en faveur d’un développement de l’IA qui soit prudent et, surtout, appuyé par la science avec une approche d’ingénierie. De la même manière que l’imprimerie et le nucléaire ont changé notre civilisation, l’IA nous transforme invariablement. « Souvent, les gens d’IA sont déconnectés de la réalité de l’industrie et l’industrie connait mal l’IA, au-delà de ses mot-clés. »

« Souvent, les gens d’IA sont déconnectés de la réalité de l’industrie et l’industrie connait mal l’IA, au-delà de ses mot-clés. »

– Marie-José Montpetit

Premièrement, cette transformation doit être bien comprise, explique l’ingénieure. On doit donc enclencher plus de pédagogie sur le sujet. Puis, les ingénieurs inventent, certes, mais « ils ne peuvent pas vraiment mener le débat tous seuls », assure Marie-José.

Enfin, nous devons éviter ce qu’on pourrait appeler l’AI-washing. « L’IA ne doit pas être à toutes les sauces! », lance-t-elle. Les solutions technologiques avancées ne devraient pas être les premières solutions mises sur la table. Bien que certaines entreprises, estiment que le Québec n’est pas suffisamment innovateur, « l’IA par les affaires et pour les affaires ne sera pas viable, sans de nouveaux programmes d’éducation », selon Marie-José.

Les conseils en IA d’une ingénieure

Marie-José préconise avant tout l’analyse du problème industriel à résoudre, en se demandant pourquoi la solution actuelle n’est pas efficace et comment elle pourrait être améliorée. On commence par analyser le cycle de vie de l’IA, puis on cherche à améliorer l’apprentissage supervisé, ainsi que le non supervisé.

Il faut créer des histoires à succès qui vont plus loin que le prototypage ou le logiciel de démonstration (demoware). Car, en dehors des produits des très grandes entreprises, il existe peu de réalisations exemplaires. « Les résultats ne sont pas là, ou bien ils ne sont pas clairs », précise-t-elle. « C’est sûrement en raison de la prudence des gens d’affaires », commente Marie-José. Les professionnels veulent vérifier que les systèmes intelligents fonctionnent bien, car la viabilité de l’entreprise est en jeu. Aussi, ils ne possèdent pas suffisamment de comparables, car l’IA est encore un domaine de pionniers.

Par ailleurs, bien qu’il existe bon nombre de subventions en IA, Marie-José Montpetit constate que certaines entreprises européennes les refusent volontairement, afin de protéger l’originalité de leurs découvertes.

Enfin, Marie-José observe un manque important de planification à long terme, sur la plupart des projets en IA déposés. Pour éviter l’AI-Washing, le développement en intelligence artificielle ne devra pas passer seulement par le département de marketing, mais devra impliquer tous les intervenants. En conséquence, l’ingénieure prône plus de pragmatisme en innovation, afin de créer un avenir durable pour les technologies de l’IA.

À voir également :

https://www.cscience.ca/2022/09/30/emission-cclair-agtech-la-revolution-est-elle-dans-le-pre/

Crédit Image à la Une : Patricia Gautrin