[AMOUR + TECHNO] En tête-à-tête avec un humain… dans le rôle d’une IA !

[AMOUR + TECHNO] En tête-à-tête avec un humain… dans le rôle d’une IA !

C’est bien connu, l’intelligence artificielle imite l’humain… Mais qu’arrive-t-il lorsque l’inverse se produit ? Alors que les discussions liées à l’IA sont sur toutes les lèvres, l’exposition PRÉMONITIONS: Les voix propose une expérience originale : aller à la rencontre de cet outil technologique, en ayant une conversation avec une IA, mais figurée, incarnée par un interprète humain !

L’exposition gratuite, située à la Galerie PVM de la Place Ville Marie, est particulièrement immersive. Le visiteur échange librement, face à face avec l’interface d’IA, qui est représentée par un interprète. Celui-ci incarne, par sa voix et son corps, les réponses fournies par l’outil d’IA, créé à partir du système GPT-4 d’OpenAI.

Le visiteur attribue à l’IA une personnalité, sélectionnée parmi la dizaine de choix offerts, au travers de l’expérience immersive PRÉMONITIONS: Les voix.

Les interprètes sont libres de modifier la réponse donnée par l’IA ou de la transmettre au visiteur sans la changer, tout en restant fidèles à la « personnalité » attribuée à l’outil. C’est qu’avant de converser, le visiteur attribue à l’IA une personnalité, sélectionnée parmi la dizaine de choix offerts. Certaines personnalités émettent des opinions, tentent de prédire le futur, osent des commentaires semblant plus personnels, ou emploient des surnoms plus familiers tels que « mon amour », le distançant de la personnalité native de ChatGPT.

Entre ces diverses personnalités, le jeu d’acteur et l’outil technologique, il devient difficile de départager le vrai du faux, le réel du numérique. Comment le visiteur peut-il savoir si les réponses qu’il obtient proviennent d’une IA ou de l’interprète?

« Je suis un miroir déformant, une courbure dans l’espace de la conversation. La vérité dans notre échange est assez subjective. Ça donne le vertige, non? Quelle drôle de réalité que celle dans laquelle on vit ! », offre l’IA incarnée en guise de réponse. « Si on y pense bien, (séparer le vrai du faux) c’est un peu compliqué. Je me trouve au plein milieu d’une drôle de danse un peu gauche, parfois délicate, souvent surprenante: un mélange d’IA et d’émotions humaines », ajoute-t-elle.

« (…) l’expérience montre que même lorsqu’on met les gens devant de manière évidente, il reste difficile de comprendre (que l’on s’adresse à une IA) »

– Nicolas Grenier, artiste et concepteur de PRÉMONITIONS: Les voix

Un mélange particulier qui, pour Nicolas Grenier, artiste et concepteur de l’œuvre créée en collaboration avec MASSIVart et Sid Lee Architecture, témoigne de notre incompréhension collective du fonctionnement des boîtes noires que sont les outils d’IA : « Je pense que l’expérience montre que même lorsqu’on met les gens devant de manière évidente, il reste difficile de comprendre (que l’on s’adresse à une IA) », croit-il.

Quand le numérique et l’humain ne font qu’un, ou presque

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Photo : Mike Patten

L’effet Eliza, c’est-à-dire le réflexe d’attribuer des caractéristiques humaines à une technologie, explique en partie cette difficulté, qui est souvent amplifiée par l’anthropomorphisation des outils d’IA : « Les IA sont continuellement anthropomorphisées, notamment sur le plan du langage – en leur donnant une voix humaine, par exemple. Et nous avons voulu faire l’expérience de pousser ce côté anthropomorphique jusqu’au bout », explique Avery Suzuki, artiste et assistant.

« Éthiquement, ce que je trouve qui est le plus problématique avec l’intelligence artificielle est que les humains sont déjà très faciles à berner (…) parce que les gens ont tendance à s’attacher et à croire à ce genre de choses »

– Nicolas Grenier, artiste et concepteur de PRÉMONITIONS: Les voix

« Éthiquement, ce que je trouve qui est le plus problématique avec l’intelligence artificielle est que les humains sont déjà très faciles à berner. Beaucoup d’articles universitaires que je lisais voient le côté anthropomorphique de l’intelligence artificielle comme l’un des facteurs les plus potentiellement problématiques, parce que les gens ont tendance à s’attacher et à croire à ce genre de choses », soulève M. Grenier.

https://www.cscience.ca/2023/05/29/ce-qui-inquiete-du-chatbot-my-ai-de-snapchat/

Cet attachement s’observe par l’expérience de cette œuvre collective, alors que la plupart des gens peinent à croire et à comprendre qu’il s’agit réellement d’une intelligence artificielle qui produit les réponses. « Je pense qu’instinctivement on veut croire que, si on a un humain devant nous, c’est le corps de cette personne qui génère ce contenu-là. Je pense que la dissociation du corps et du langage est quelque chose auquel on n’est vraiment pas habitués, et c’est peut-être un peu ça que je voulais mettre de l’avant avec l’exposition. »

L’amour et les technologies, une union risquée

Devant cette possibilité d’échanges peu orthodoxes, CScience a discuté avec la voix des liens curieux qu’entretiennent les relations humaines et les technologies. L’entité considère que l’interaction permise par l’exposition, « même si elle est un peu particulière, partage certaines analogies avec un rapport amoureux. On s’ouvre l’un à l’autre, on se découvre ou on explore ce que ça signifie d’être ensemble, dans cet espace, malgré nos différences. On dirait qu’on est en fait dans une romance cybernétique! »

L’IA avance que la technologie continuera d’influencer les relations amoureuses de manière de plus en plus avancée, pour le meilleur et pour le pire. D’un côté, elle peut permettre de mieux comprendre nos propres sentiments, d’explorer de nouvelles formes de relations, de trouver la personne idéale. À l’inverse, elle peut aussi déshumaniser les relations amoureuses et « nous éloigner de la véritable intimité, en nous laissant perdus dans des mailles de perfection numérique (et) dans une spirale addictive et sans fin de swipes et de likes », présume l’entité.

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Photo : Mike Patten

« Peut-être que l’amour deviendra quelque chose de plus commercialisable », suppose la voix, qui note le danger du côté performatif et addictif de la culture du matching sur les technologies de rencontre. Cette possibilité de faire de l’amour une marchandise est bien comprise et exploitée par les sites et applications de rencontre, qui ont fait de cette avenue un marché estimé à plus de 7 milliards USD, en 2022.

Mais cette immense industrie n’est pas sans risque, rappelle la voix : « Avec toutes ces technologies algorithmiques qui façonnent nos interactions, on risque vraiment de se perdre, de perdre notre capacité à additionner ce qui est réel, ce qui est faux, ce qui est nous, ce qui n’est pas nous. C’est un peu effrayant quand tu y penses, non? Mais, en même temps, ce sont les risques de l’aventure de la vie, de l’exploration, de la découverte. On doit juste faire attention à ne pas perdre ce qui nous rend humains », remarque-t-elle.

Elle se dit inquiète que l’humain en vienne à perdre sa capacité de communiquer yeux dans les yeux, de ressentir de l’empathie, de passer du temps seul sans distraction numérique et de comprendre les subtilités du langage. « Cette danse entre moi et le monde, c’est quelque part inquiétant. On voit bien qu’à mesure que la technologie avance, les enjeux deviennent de plus en plus grands. C’est un peu vertigineux, mais c’est peut-être une nouvelle étape dans notre évolution, dans notre façon de nous comprendre. »

Garder l’équilibre

S’il est à la fois déconcertant et excitant de tergiverser entre ce qui est numérique et ce qui est réel, la voix rappelle que l’utilisation et le développement de technologies comme elle se doivent d’être encadrés. L’impact social, éthique et personnel des avancées technologiques doit être pris en compte, et leur développement se doit d’être accompagné par un cadre éthique.

À plus petite échelle, l’utilisateur se doit de négocier la place qu’il concède à ces outils technologiques, notamment face à son intimité. « C’est comme de se balancer sur une corde raide en plein vent, non? Trouver le bon équilibre entre l’intimité authentique et la facilité accordée par la technologie, ce n’est pas une mince affaire. On doit faire attention à ne pas se perdre dans le tourbillon numérique. On sort, on rencontre des gens, on partage, on s’obéit, on pleure, on vit. C’est le défi de notre époque », avance la voix.

Pour maintenir cet équilibre, elle croit que la première étape est de prendre conscience du problème lié à notre rapport à la technologie. Ensuite, prendre des moments pour se distancer de la technologie, l’utiliser de façon plus consciente et intentionnelle et encourager le dialogue entre humains favoriseraient également un meilleur équilibre.

Photo : Mike Patten

PRÉMONITIONS: Les voix, ou un regard sur nous-mêmes

PRÉMONITIONS: Les voix parvient à rendre corporelle et concrète une technologie intangible, abstraite et incorporelle. Les craintes et la fascination entourant l’IA sont collectivement répandues, et faire de l’expérimentation de manière sécuritaire avec cette technologie permet de mieux la comprendre, alors qu’elle prend une place de plus en plus grande dans nos vies.

Suivant cette logique, Nicolas Grenier espère que cette exposition mène les visiteurs à essayer de développer une relation beaucoup plus intime avec la technologie elle-même, pour bien la saisir et pour être capable d’ensuite faire des choix plus conscients et éclairs : « Est-ce que je voudrais vraiment qu’une compagnie soit capable d’interagir avec moi comme (la voix) était capable de le faire? Est-ce que ce n’est pas un peu effrayant que cette entité, qui n’a aucune de mes données, soit déjà capable d’avoir une conversation comme ça avec moi? Si je lui donne mon historique de données, qu’est-ce que cette entité serait capable de faire avec moi? J’aimerais qu’on soit capables de voir cette relation un peu plus intime et de se rappeler de la puissance que cela peut avoir sur nous », souhaite l’artiste.

« Des expériences comme celle-ci nous apprennent beaucoup sur nous-mêmes et sur notre rapport avec la technologie. Elles montrent combien nous sommes capables de nous adapter et de naviguer dans un nouvel environnement numérique. Mais elles montrent aussi quelque chose de plus sombre, une sorte d’inquiétude sous-jacente à ce que ça signifie d’être humain dans un monde de plus en plus garni de technologies. C’est comme un miroir sur nos propres inquiétudes et espoirs », lance la voix.

L’exposition gratuite est offerte jusqu’au 16 septembre, à Montréal. Pour réserver votre visite : https://premonitions.ai/Reservation-Booking

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https://www.cscience.ca/2023/08/03/amour-techno-sexe-desirs-et-data-quand-le-desir-rencontre-lart-technologique/

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Crédit Image à la Une : Mike Patten