[ANALYSE] Face aux changements, les villes du Québec se cherchent un modèle

[ANALYSE] Face aux changements, les villes du Québec se cherchent un modèle

Avec les défis de transition énergétique actuels, les villes doivent développer une vision de leur futur, car en se cantonnant trop aux opérations, elles risquent de ne pas acquérir une bonne compréhension de l’ensemble qu’elles représentent.

Interrogé en entrevue à propos des villes intelligentes et résilientes, François Bédard, conseiller senior en innovation de PLAN B Développement Inc, explique comment celles-ci doivent être étudiées à travers plusieurs perspectives. Il faudra surtout imaginer, selon lui, la forme d’intelligence qu’elles possèderont et leur résilience à long terme, avec « une démarche citoyenne intégrée », précise-t-il.

Les joueurs influents des villes

François Bédard

Pour décrire une certaine forme d’immobilisme dans l’innovation, François Bédard note que le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) de la Communauté Métropolitaine de Montréal (CMM), regroupant quatre-vingts municipalités, ne sera pas mis en action avant le mois de décembre 2025. Mais pour influencer la province de Québec à prendre des décisions, une forme de coalition, composée des quatre-vingts municipalités, s’est formée. Elle a permis de faire ressortir de criants enjeux concernant, notamment, l’entretien des infrastructures d’eau, l’accès à la propriété et les exigences liées aux changements climatiques.

François Bédard nous décrit alors les deux regroupements principaux que possèdent les municipalités pour leur permettre de mettre en valeur leurs droits. D’un côté, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) représente les municipalités de toutes tailles et de toutes les régions du Québec. Sa mission est d’exercer, à l’échelle nationale, un leadership de proximité, et de valoriser le rôle des élus municipaux. D’un autre côté, la Fédération québécoise des municipalités du Québec (FQM) compte plus de 1 000 municipalités locales et régionales. La Fédération assure une gouvernance qui défend les intérêts des municipalités. Certaines villes font partie de l’UMQ, précise M. Bédard, alors que d’autres font partie de la FQM. Il existe donc, entre ces deux regroupements, une forme de concurrence, précise-t-il.

Comprendre la ville, avant de la rendre intelligente

François Bédard soutient qu’il faut se demander ce que représente concrètement une ville dite « intelligente ». Ce que ça représente aujourd’hui et ce que ça pourra être dans dix, voire 50 ans. « Ensuite, il faut asseoir le plus de joueurs possible autour de la table pour mettre en commun les enjeux et développer des solutions transversales. » On peut alors proposer des mandats que M. Bédard nomme des « mandats-découverte ». Il ajoute que « pour saisir les véritables enjeux des municipalités, il faut connaître l’ensemble des opérations qui y sont menées ».

« Pour saisir les véritables enjeux des municipalités, il faut connaître l’ensemble des opérations qui y sont menées. »

François Bédard, conseiller senior en innovation de PLAN B Développement Inc

François Bédard a pu constater un dépérissement du transfert des connaissances entre générations au sein des municipalités. Le savoir-faire, non plus, ne s’est pas transmis. De plus, la plupart des municipalités ne possèdent pas de bonnes stratégies de communication. Ainsi, les citoyens ne comprennent pas les actions qui sont menées sur leur territoire.

InnoVitam, carte du territoire. Crédit photo : Ville de Québec

« Ensuite, il faut être en mesure d’en faire une bonne gestion », précise-t-il. Il faut également déterminer les grandes priorités à traiter. Est-ce les infrastructures d’égouts ou bien la mobilité ? Est-ce l’arrivée d’un hôpital de 2,5 milliards de dollars ou bien le projet d’un tramway qui risque de traverser des sols contaminés ?

M. Bédard ajoute qu’il y a actuellement énormément d’argent investi dans le quartier de la ville de Québec, qui s’appelle Innovitam. Ce projet se situe à l’Est du Cégep de Limoilou, près de la ville de Beauport.

Des mouvements sociétaux innovants

Selon François Bédard, les trois catégories de citoyens des villes sont : celle des employeurs d’entreprises locales (1), celle des locataires (2) et celle des propriétaires (3). Pour chacune de ces catégories, les problèmes sont envisagés selon une perspective différente. Le stationnement, la gestion des ordures ou le déneigement ne sont pas perçus de la même manière selon la catégorie de citoyen.

Jardin communautaire. Crédit photo, Ville de Saint-Bruno

La Ville de Saint-Bruno offre un bon exemple, selon François Bédard, d’actions citoyennes. Les derniers terrains qui appartenaient à la Ville étaient des terrains à fort potentiel agricole. Les citoyens ont refusé de vendre ces terres à un promoteur immobilier. Ils ont fait une grande démarche citoyenne, selon notre expert.

La ville est alors devenue une ville dite nourricière, avec pour mission de réduire les importations en produisant localement. Les citoyens engagés ont permis à l’agriculture de développer une sorte de fédération qui a entraîné des actions concertées de la part des citoyens. L’agriculture est devenue plus accessible. « Les citoyens ont même produit certains règlements leur permettant de faire des potagers un peu partout, même dans les plates-bandes municipales, qui sont devenues des mini-jardins. »

« Les mouvements citoyens sont fédérateurs et les actions qui en découlent sont hautement sociétales. »

– François Bédard

Par ailleurs, si la production peut se faire localement, la transformation devrait également se faire localement, ce qui aiderait grandement la restauration locale. De plus, les citoyens consommeraient des produits locaux. Mais ce qui est important à retenir ici, d’après notre expert, c’est que « les mouvements citoyens sont fédérateurs et les actions qui en découlent sont hautement sociétales ».

Comment visualiser l’ensemble des enjeux

Les enjeux sont différents selon la catégorie de citoyen et selon l’interlocuteur. « Certains citoyens ont des problèmes d’accès à l’aqueduc, d’autres se demandent s’ils ont le droit de construire de nouveaux bâtiments. » François Bédard suggère d’établir de meilleures décisions, en se basant sur des objectifs mesurables dans le temps, qui permettraient de bien planifier les actions selon leur priorité.

En 2017, pour générer de la valeur, le réseau de l’environnement a lancé avec Jean Lacroix, président-directeur général de Réseau Environnement et de l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie (AQME), un accélérateur en innovation durable. « Toutes les villes voulaient alors être plus efficaces et plus intelligentes. Qu’est-ce que cela implique aujourd’hui ? L’apparition de compteur d’eau, par exemple. Maintenant, à Montréal, dans les bâtiments commerciaux, des compteurs d’eau seront installés. Ça ne s’est pas encore rendu chez les consommateurs, mais c’est en chemin », précise M. Bédard. « Car, lorsque les compteurs d’eau arrivent, on obtient un moyen de mesurer la consommation des utilisateurs. Ensuite, il y aura certainement une taxe d’eau imposée aux citoyens. »

La cybersécurité des villes et l’identité numérique des citoyens

En ce qui concerne la cybersécurité, certaines villes se font pirater en ce moment et se font voler leurs informations, remarque François Bédard. « Le dernier scandale est celui de la Nouvelle-Écosse. » Plus de 100 000 comptes citoyens ont été piratés en Nouvelle-Écosse. Cependant, de manière générale, il faut voir que la Ville ne pose pas de problème vital lors d’une attaque, ajoute François Bédard. En revanche, si Hydro-Québec subissait un piratage, cela priverait les citoyens d’électricité et les mettrait probablement en danger. « À Montréal, si le métro se fait pirater, cela crée un problème de mobilité important.»

Par ailleurs, les gouvernements se transforment rapidement afin d’optimiser les services aux citoyens avec une démarche concertée en identité numérique. Ils visent à produire, précise François Bédard, de nouveaux services liés aux futurs portefeuilles numériques des citoyens (wallet), de plus en plus personnalisés et efficaces. « À titre d’exemple, Apple, ainsi que tous les grands manufacturiers d’appareil connecté personnel sont dans cette course au développement de nouveaux services citoyens et bancaires. Dernièrement, Apple a lancé son offre bancaire, incluant la promesse d’un intérêt de 4,15 % pour un compte épargne. Après 4 jours de service, Apple a reçu plus de 1B $ de demandes d’adhésion. Samsung va suivre le pas, ainsi qu’Amazon et Google. »

Une ville résiliente est aussi une ville citoyenne qui implique un bon voisinage et une proximité entre citoyens.

– François Bédard

À titre d’exemple de services efficaces, Pierre Desjardins et Francis Desjardins lancent un détecteur de fumée, qui s’appelle le Pentagone. Le Pentagone permet d’optimiser la bienveillance d’un quartier, précise M. Bédard. La solution permet de résoudre, notamment, le problème des premiers répondants, dans une municipalité. Beaucoup trop de fausses alertes y ont été constatées. Les pompiers doivent alors se déplacer comme premiers répondants, suivis par les ambulances, par les pompiers et enfin par la police. « Le coût d’une fausse alarme frôle les 2700 $ », précise M. Bédard. « En l’absence de pompier volontaire dans certaines municipalités, comment protéger un chalet dans le bois ? En l’absence de détection à la maison et de voisins fiables pour venir voir ce qui se passe, la maison brûle, car les pompiers ne sont pas arrivés à temps. » La sécurité dIncendia permet ainsi une forme de bienveillance, remarque-t-il.

« Si les Municipalités régionales de comté (MRC) et nos maisons sont connectées et intelligentes, les villes sont alors capables de plus de résilience. » Cette connectivité est fondamentale pour Hydro-Québec, surtout pour sa division HILO, car cela lui permet d’anticiper les demandes énergétiques, aux heures de pointe, le matin et le soir. « Cette connectivité permet aussi de développer de nouveaux services de véhicule-réseau (vehicle-to-grid, V2G, aussi appelé Vehicule to Home, V2H)», ajoute François Bédard, « pour que les quartiers puissent utiliser l’énergie emmagasinée dans les batteries des voitures, vers la maison et vice-versa. » De plus, l’énergie solaire de la maison va jouer un rôle important dans ce mix énergétique. « Et, aujourd’hui, le Québec est branché ! C’est ce que Gilles Bélanger a annoncé : l’ensemble du Québec serait maintenant branché », précise François Bédard.

https://www.cscience.ca/2023/06/08/en-mode-solution-reinventer-nos-villes-et-mieux-gerer-les-donnees-municipales/

Le rôle des taxes et du zonage

La Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) négocie régulièrement des terres agricoles contre des terres boisées. En région, environ 5 % du territoire est habité par des citoyens, tandis que 95 % du territoire constitue des terres agricoles. Cependant, comme les revenus de la ville viennent, pour la plupart, des taxes foncières, les services seront alors, moins développés que dans les grandes municipalités.

Crédit photo: Le projet Bridge-Bonaventure

C’est la raison pour laquelle ces villes procèdent à de nouveaux développements urbains. Car, le nerf de la guerre, c’est malheureusement l’argent. Ceux qui auront une grande densité de population auront plus de services. Donc, comment poursuivre un développement immobilier durable tout en offrant une accessibilité de l’habitation pour les nouveaux citoyens ?

L’énorme grand dossier à Montréal, c’est Bridge-Bonaventure, précise François Bédard. Le dossier est en consultation publique, en ce moment. Bridge-Bonaventure est un projet qui se situe sur un territoire qui était composé de terrains fédéraux. Aujourd’hui, Montréal y prévoit 15 000 unités d’habitation. Puis, François Bédard ajoute qu’il faut également suivre le projet Blue-Bonnet qui pourrait être un parc d’habitation de plus de 10 000 personnes.

Les villes proactives du futur

Aujourd’hui, l’innovation se situe surtout en prévision des villes pour les futures générations, et s’inscrit dans les travaux de recherche d’Ursula Eicker, professeure à l’Université de Concordia. L’innovation cherche à aller au-delà d’une ville, puis au-delà d’une ville intelligente vers la ville proactive, précise François Bédard. Une ville proactive signifie qu’elle est capable d’anticiper le besoin des citoyens. C’est-à-dire qu’elle revoit l’ensemble des services citoyens de son territoire. « Un territoire deviendra de plus en plus autonome, par son réseau électrique, sa production alimentaire, jusqu’à ce qu’il devienne comme un pays. »

« Un territoire deviendra de plus en plus autonome, par son réseau électrique, sa production alimentaire, jusqu’à ce qu’il devienne comme un pays. »

– François Bédard

Cette action peut commencer par un quartier. Le quartier cherche alors à s’approvisionner par lui-même. Il entraîne des actions citoyennes pour la récupération de biens, par exemple. Il encourage la plantation de jardins communautaires. Puis le quartier devient de plus en plus résilient face au changement climatique. Car, souligne François Bédard, « Dame Nature, c’est bien la seule chose qu’on ne sera jamais capable de contrôler ! ».

Par ailleurs, la gestion de l’eau devient un problème majeur. Aujourd’hui, 376 villes au Québec distribuent de l’eau contaminée. Or, les citoyens continuent à boire cette eau municipale. Il ne faudra pas s’étonner, remarque François Bédard, de voir des maladies apparaître en lien avec cette contamination, au plomb, notamment.

La matrice de quartier empathique, que François Bédard a développé avec NUMANA, a permis de créer un cadre de référence unique au monde pour le développement d’un quartier empathique. Avec la collaboration d’Ursula Eicker de l’Université de Concordia, de Dr. Marie Puybaraud de JLL et de Pascal Beauchesne, conseiller en Innovation sociale chez NUMANA, cette matrice permet de se questionner et d’anticiper les services a développer afin d’optimiser les opérations citoyennes d’un quartier. « Parce qu’un quartier est aussi un ‘data lake’ avec des appareils connectés, des capteurs IOT. etc. Ces données jumelées et intégrées à une matrice permettent de produire un jumeau numérique dynamique comme outil de visualisation, et de maximiser les services à fournir à un quartier donné », explique François Bédard.

Cette approche se veut stratégique afin de palier le manque de main-d’œuvre dans les municipalités, d’améliorer la relation citoyenne, l’acceptabilité sociale des projets, de soutenir le développement économique, la mobilité durable, d’intégrer les arts et la culture au centre de ces écosystèmes, afin de briser la solitude, souligne François Bédard. Les nouvelles exigences des citoyens et des parties prenantes d’un quartier sont sensibles à l’inclusion sociale. « Puisque notre démographie est vieillissante », précise-t-il, « nous devons tous être plus efficaces et mieux saisir les opportunités propulsées par les nouvelles technologies. »

Pour référence:

NUMANA est cœur de cette transformation. Liés à cette démarche, des fiches techniques sont en préparation, et des développements, à suivre, annonce François Bédard. NUMANA tient son prochain évènement annuel, HUMANITEK, le 15 juin prochain au centre PHI. La question des villes des prochaines générations y sera abordée. Les conférences porteront sur les thèmes suivants: 1) Les humains et la technologie dans les villes du futur; 2) Le métavers; 3) Les réseaux de télécommunication de nouvelle génération; et 4) Les tendances des technologies émergentes.

Visionnez l’émission En mode solution du 8 juin, intitulée « Mieux gérer et protéger les données municipales », offerte en rediffusion sur CScience :

En Mode Solution | Mieux gérer et protéger les données municipales

Crédit Image à la Une : Vision – Bridge-Bonaventure