Pour le premier épisode de sa nouvelle saison, l’émission C+Clair s’est penchée sur la thématique de la cyberintimidation. Animée par Stéphane Ricoul aux côtés de la rédactrice en chef de CScience, Chloé-Anne Touma, l’émission a présenté des solutions apportées par les acteurs de l’innovation et les intervenants sociaux pour protéger les enfants contre l’intimidation en ligne, malheureusement de plus en plus fréquente et facilitée par les nouvelles technologies.
Les plateformes en ligne facilitent dans beaucoup de cas différentes formes d’intimidation, dont le partage d’insultes, de menaces, de chantage, le harcèlement et aussi la sextorsion. D’ailleurs, Chloé-Anne Touma indique qu’il y aurait une hausse de 150% des signalements de sextorsion qui font des adolescents des victimes.
La réalité est que la cyberintimidation est difficile à limiter, notamment en raison de la forte présence en ligne des jeunes. Avant même d’atteindre l’âge de 5 ans, l’enfant moyen aurait à son actif 1 500 images de lui présentes sur les réseaux sociaux. « C’est une base de données ouvertes sur l’enfant, une empreinte digitale qui constitue son identité numérique et c’est accessible à qui veut s’en servir et en abuser (…) On est dépossédé de son droit à l’image », souligne la rédactrice en chef de CScience.
1 500 : c’est le nombre de photos où l’enfant de 5 ans et moins est identifiable sur les réseaux sociaux
– Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de CScience
Durant l’émission d’une heure, les invités ont abordé les enjeux touchant à trois axes principaux : la prévention de la cyberintimidation, le processus de dénonciation et l’accompagnement des victimes.
1. Prévenir la cyberintimidation
Pour Jasmin Roy, président de la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais, les campagnes choc de sensibilisation à la cyberintimidation ne sont pas forcément des plus efficaces : « La science dit qu’il faut avoir une approche positive et bienveillante. Oui, il faut parler de ce qu’il peut se passer sur le web avec les enfants, mais encore là, il se passe aussi de belles choses sur le web. (Il faut réfléchir à) comment développer les compétences de nos enfants pour faire face à ces réalités-là. »
Mieux outiller et former les professeurs, inclure dans les programmes scolaires un volet traitant de la cyberintimidation sont des avenues proposées par les experts du plateau. Jasmin Roy appelle également à un meilleur encadrement législatif : « Ce sont les gouvernements qui ont perdu le contrôle face à ça. Ça nous a dépassés, on n’a pas agi assez rapidement, et présentement, ce sont les parents et les enfants qui en subissent les contrecoups. Si on n’est pas capables de protéger les adultes (…), je crois qu’il faut avant tout mettre la priorité sur les mineurs. »
Il existe des technologies contribuant à la prévention de l’intimidation. La plateforme Classcraft mise sur les relations humaines en renforçant les comportements positifs des élèves, en récompensant des gestes d’entraide, de collaboration, et en offrant aux parents un suivi de l’élève, tout en intégrant le ludisme des jeux vidéo : avatars, récompenses sous forme de jetons et de scores.
Jasmin Roy a contribué à la création des Ateliers 360, une initiative qui combine innovation sociale et réalité virtuelle, et qui a pour but de développer les compétences émotionnelles et relationnelles des jeunes. « La réalité virtuelle est une bonne approche si après chaque visionnement on socialise notre expérience (…) Je pense qu’il ne faut pas démoniser l’IA, mais il faut apprendre à socialiser nos apprentissages », estime-t-il.
« Le comportement attendu doit être modélisé en tout temps par les adultes, par les éducateurs. Si je m’attends à ce que les jeunes aient une bonne cybercitoyenneté, je dois moi-même comme adulte donner l’exemple. »
– Jasmin Roy, président de la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais
La présence de modèles positifs, dignes de confiance, est aussi bien importante dans la prévention de la cyberintimidation. Considérant le caractère influençable des adolescents, Stéphane Villeneuve, professeur en intégration du numérique à l’UQAM, note que le contenu numérique ou télévisuel visionné par les jeunes peut avoir un fort impact sur leurs comportements.
En 2022, M. Villeneuve avait offert un atelier de coaching aux candidats de la télé-réalité Occupation Double, alors qu’une controverse liée à de l’intimidation avait éclaté lors de la saison. « Ce que les candidats font a une portée sociale (…) Quand on s’identifie à quelqu’un et qu’on l’apprécie, on peut être porté à reproduire ses comportements, d’où l’intérêt de faire attention à ce qui se produit dans les émissions », avance-t-il.
« Le comportement attendu doit être modélisé en tout temps par les adultes, par les éducateurs. Si je m’attends à ce que les jeunes aient une bonne cybercitoyenneté, je dois moi-même comme adulte donner l’exemple », enchérit M. Roy.
2. Comment dénoncer son intimidateur?
Chloe-Anne Touma dresse un portrait inquiétant quant au taux de dénonciation des intimidateurs chez les adolescents : 78% des jeunes Québécois victimes de cyberintimidation ne vont pas chercher d’aide, et le quart de ces jeunes dissimulent aussi la situation à leurs parents. « Si les statistiques sont aussi fortes, c’est que le jeune a fondamentalement peur de parler. Lorsqu’il est victime de ces situations difficiles, il tombe dans un état de dysphasie », résume Louis-Raphaël Tremblay, directeur général d’Optania.
« On dit aux jeunes de signaler, de dénoncer, mais on ne leur montre pas comment faire, on ne leur montre pas le processus (de dénonciation). Souvent, ils ne savent pas eux-mêmes s’y retrouver, ni où aller pour dénoncer. »
– Jasmin Roy, président de la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais
Si les sentiments de honte et de peur de la victime expliquent en partie ces faibles pourcentages, la méconnaissance quant au processus de dénonciation freine également des jeunes à prendre la parole. « On dit aux jeunes de signaler, de dénoncer, mais on ne leur montre pas comment faire, on ne leur montre pas le processus (de dénonciation). Souvent, ils ne savent pas eux-mêmes s’y retrouver, ni où aller pour dénoncer », déplore M. Roy.
Mais les adolescents ne sont pas les seuls à se sentir dépassés par ces processus. « Les parents ont besoin d’aide, d’une ressource claire, simple et pratico-pratique pour être outillés face aux petits et grands défis de la parentalité », lance durant l’émission Carlo Coccaro, entrepreneur et fondateur de la plateforme Aidersonenfant.com.
Louis-Raphaël Tremblay encourage les parents et leurs enfants à se renseigner sur le processus de dénonciation et à consulter des ressources en ligne, et ce, même si le jeune n’est pas victime de cyberintimidation.
3. Accompagner les victimes
57% des jeunes Québécois de 10 à 18 ans ont déjà vécu de la cyberintimidation : 46% des cas sont liés à des insultes en ligne, et 25% des cas à du racisme. Le troisième axe de discussion de l’émission pose les questions suivantes : comment accompagner les victimes, et quelles mesures punitives et éducatives faut-il mettre en place pour les cyberintimidateurs?
57% : le pourcentage des jeunes Québécois de 10 à 18 ans qui ont déjà vécu de la cyberintimidation
D’un point de vue légal, même si le harcèlement, les menaces ou l’extorsion sont des infractions reconnues dans le Code criminel, la cyberintimidation n’est pas encore listée comme un crime. Cependant, un jeune peut, dès l’âge de 12 ans, être tenu criminellement responsable des gestes qu’il pose en ligne. « C’est difficile pour un enfant de vivre ça, et c’est pris en considération par la cour. Recevoir une peine quand on est jeune, c’est intimidant. Ça ressemble en même parcours que pour un adulte, mais au niveau des peines, c’est différent », explique Me Marc-Antoine Harvey, avocat et vulgarisateur juridique pour Éducaloi.
Pour accompagner les victimes, Isabelle Ouellet-Morin, professeure à l’École de criminologie de l’Université de Montréal UdeM, présente l’application +FORT qui est un outil destiné aux jeunes qui « vivent des situations difficiles pour lesquelles ils ont moins de soutien, étant donné que le soutien requiert un dévoilement auquel ils ne sont pas prêts à faire face. »
De tels outils apportent une aide considérable au milieu scolaire, mais sont trop peu soutenus : « On parle beaucoup d’innovation. Il faut continuellement soutenir ces réseaux d’innovateurs au Québec qui font de belles choses, mais il faut aussi tester ce qu’on fait. Je pense qu’il manque du financement pour avoir des études qui évaluent l’acceptabilité et l’accessibilité de ces outils et qui en testent l’efficacité », ajoute Mme Ouellet-Morin. Elle fait mention de l’efficacité de +FORT qui, en seulement 4 à 6 semaines d’utilisation, a réduit de 50% l’intimidation observée lors d’études préliminaires.
Un accompagnement, technologique ou non, devrait être pensé en considérant la réalité de différents groupes ethnoculturels, rappelle Rafael Benitez, directeur artistique et cofondateur de PAAL Partageons le monde, un organisme qui fait de la sensibilisation et du renforcement d’intelligence interculturelle auprès des enfants, au travers de diverses activités. En entrevue avec Cscience, M. Benitez, qui est également intervenu pendant l’émission, a mentionné que : « Quand tu es victime d’une micro-agression, c’est comme prendre une feuille et en arracher des morceaux, petit bout par petit bout. Ça mine l’estime de soi des personnes qui deviennent alors un sujet plus facile à intimider, parce que ça remet en question leur identité, leur culture. »
Pour voir d’autres épisodes de C+Clair : https://www.cscience.ca/cclair/
À lire également :
Cyberintimidation et sextorsion : quand des adolescentes se donnent la mort