Les réseaux sociaux interdits aux moins de 14 ans en Floride : une loi surtout symbolique

Les réseaux sociaux interdits aux moins de 14 ans en Floride : une loi surtout symbolique

L’État américain de la Floride a adopté le lundi 25 mars la Loi HB3, interdisant aux jeunes de 14 ans et moins de créer et tenir des comptes sur les réseaux sociaux, créant un précédent dans le domaine législatif, qui pourrait inspirer les dirigeants d’ailleurs à faire pareil. En cas de non-respect de la loi, les parents des enfants, mais aussi les plateformes impliquées, pourraient être tenus responsables et condamnés à payer jusqu’à 50 000 dollars d’amende. Mais à quel point ce règlement, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025, est-il applicable ?

Inquiétant de plus en plus les experts, l’addiction aux écrans et réseaux sociaux est un phénomène observable chez des utilisateurs de plus en plus jeunes, et les chiffres issus de la recherche attestent des conséquences qui en découlent, allant de la hausse du cybercrime, aux problèmes de santé mentale.

Selon les données de l’entreprise de protection en ligne McAfee, plus de la moitié (57 %) des Québécois de 10 à 18 ans ont déjà subi de la cyberintimidation, et 78 % d’entre eux n’iraient pas chercher de l’aide. Le quart des jeunes disent aussi dissimuler la situation à leurs parents. L’année dernière, l’organisme canadien Cyberaide a rapporté avoir enregistré une augmentation de 150 % des signalements de sextorsion faisant des victimes parmi les adolescents canadiens, dans une période de six mois. En France, les jeunes passeraient quatre heures par jour sur leur téléphone cellulaire. Plus d’un quart des collégiens auraient d’ailleurs subi au moins une fois une forme de cyberviolence au cours de l’année scolaire 2021-2022, selon les chiffres publiés par Statista.

Cyberintimidation et sextorsion : quand des adolescentes se donnent la mort

Caroline Tassé, experte marketing et de l’image de marque, rappelle également le danger de développer des problèmes de santé mentale et de perception en lien avec l’image corporelle, alimentés par l’usage de filtres esthétiques sur des plateformes comme TikTok : « Les réseaux sociaux sont souvent utilisés pour embellir la réalité. Sur TikTok, la plupart des utilisateurs utilisent cette plateforme pour se mettre en valeur, que ce soit par leurs habiletés en danse, chant ou maquillage, ou bien comme artisans, professionnels de la coiffure ou tops en cuisine. Il y a énormément de nouveaux influenceurs qui ont percé grâce à ce réseau. Ils sont souvent grassement payés et adulés par des centaines de milliers de personnes. Beaucoup d’entre eux utilisent des filtres pour améliorer leur apparence (peau lissée, faux cils, nez affiné, lèvres re-pulpées, etc) et reçoivent des commentaires élogieux sur leur physique. TikTok submerge ses fans dans un univers basé sur l’esthétique visuelle et physique. »

L’impact des filtres TikTok sur la santé mentale

Aux États-Unis

Visant à s’attaquer au problème généralisé de l’omniprésence des écrans et de la dépendance aux réseaux sociaux au sein de la jeune population, le texte de la Loi HB3 adoptée en Floride prévoit notamment que les jeunes de 14 et 15 ans ne pourront fréquenter les plateformes Facebook, Instagram et Tiktok sans la permission parentale, et s’attarde également aux sites internet pornographiques pour qu’ils filtrent leurs utilisateurs selon leur âge.

Le républicain Paul Renner, président de la chambre des représentants de la Floride, en faveur de la loi, justifie sa position en faisant valoir que le cerveau d’un adolescent ou d’un enfant ne serait pas assez mature pour se prémunir contre le développement d’une dépendance aux réseaux sociaux. Bien que les entreprises exploitant ces plateformes puissent la contester en invoquant le 1er amendement de la constitution, qui protège la liberté d’expression, M. Renner, ainsi que le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, qui a signé en faveur de son adoption, restent confiants quant aux chances de la Loi HB3 de recevoir aussi le feu vert des tribunaux, le cas échéant.

Au Canada et en France : l’interdiction des cellulaires à l’école

Rappelons qu’au Québec, une loi en vigueur depuis le 31 décembre 2023 fait du territoire la deuxième province canadienne (après l’Ontario) à avoir banni les téléphones cellulaires en classe, et cible les écoles primaires et secondaires publiques, permettant toutefois aux enseignants qui le souhaitent d’autoriser leur usage à des fins pédagogiques. En France, les téléphones cellulaires ont aussi été bannis des écoles en 2018, aussi bien en classe que dans les cours de récréation.

Une mesure règlementaire beaucoup plus applicable, puisqu’il est plus difficile de passer sous le radar à l’école que dans l’intimité de sa chambre, derrière son écran…

Plus théorique que praticable

Sur les réseaux sociaux, notons qu’il est déjà interdit de s’inscrire avant l’âge de 13 ans, mais qu’il suffit de mentir sur son âge en inscrivant une date de naissance fictive pour y créer un compte et ainsi contourner le blocage.

Bien que l’adoption de la Loi HB3 semble créer un précédent de nature plus symbolique que transformateur, elle nourrit la réflexion quant à la place qu’occupent les technologies du numérique et les réseaux sociaux dans le quotidien des jeunes, que ce soit dans le cadre privé, social ou académique, et de l’importance de déployer des mesures d’éducation numérique.

L’éducation numérique est une urgence !

Aussi une remise en question pour les utilisateurs moins jeunes

Mélissa Canseliet, fondatrice d’Humanet et chroniqueuse pour CScience, rappelle la « lecture d’un rapport de l’UNESCO faisant état des effets négatifs de l’usage non encadré de la technologie, et des téléphones cellulaires en classe. Plusieurs études font d’ailleurs état de ces désagréments. Et lorsqu’on sait que la majeure partie du temps passé sur internet est dédiée à de l’activité sur les réseaux sociaux, à envoyer des messages et à s’informer, on peut comprendre l’inquiétude engendrée. Il a aussi été rapporté par l’UNESCO que même dans le contexte d’utilisation des outils numériques conçus pour l’éducation, des risques se portaient notamment sur le manque d’opportunités de socialiser, et sur d’autres effets affectant la santé physique et mentale, par l’extension du temps passé en ligne lorsque celui-ci intervient ainsi en classe. »

Quand l’enfant de moins de cinq ans a, à son actif, pas moins de 1 500 images de lui circulant sur le web, tel que nous l’apprend une étude de l’agence britannique Nominet, il incombe aux sociétés de réfléchir également aux usages que font les adultes de ces plateformes, de l’exemple qu’ils en donnent et des photos et vidéos qu’ils y partagent, puisque le parent moderne a tendance à y publier beaucoup de contenu sur son enfant, constituant une base de données sur ce dernier et, de manière ultime, son empreinte digitale.

[Émission C+Clair] Cyberintimidation, comment préserver nos enfants ?

Crédit Image à la Une : Bruce Mars et Emily Wade, Unsplash