La créativité humaine et l’intelligence artificielle : une association qui suscite le débat

La créativité humaine et l’intelligence artificielle : une association qui suscite le débat

La technologie est un outil fondamental, en constante évolution dans notre société, et auquel l’être humain a développé une véritable dépendance, orientant ses avancées vers la poursuite de la sophistication, de la praticité et de l’accessibilité. D’une certaine manière, l’avènement de l’intelligence artificielle se veut symbolique de l’évolution « naturelle » des choses. Sommes-nous néanmoins en train d’y céder, au détriment de l’espèce humaine ?

« L’IA sera soit la meilleure, soit la pire chose qui puisse arriver à l’humanité », avait déclaré le célèbre physicien et théoricien Stephen Hawking, il y a quelques années. Mais en matière de créativité, quelle devrait être la place de l’intelligence artificielle?

Pour plancher sur cette question, dans le cadre de la série « Au carrefour des savoirs », un débat organisé le mois dernier par la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal a réuni trois de ses experts : Christine Bernier, professeure spécialiste en histoire de l’art et muséologie, Pierre Michaud, professeur expert en composition mixte à la Faculté de musique, et Antoine Bellemare, artiste pluridisciplinaire et doctorant. Animés par Karim Jerbi, professeur expert en neurosciences et en IA à l’Université de Montréal, les échanges portaient sur le thème « créativité humaine et intelligence artificielle : concurrence ou synergie ? ».

La notion de créativité

La créativité est un élément essentiel à l’être humain. C’est probablement l’une des facultés qui nous distinguent des autres espèces sur terre. Lorsqu’on fait une recherche sur Google, on en vient à la définir comme étant « le pouvoir de création et d’invention ». Mais selon les panélistes de la table ronde, le concept de créativité signifie bien plus. D’après Christine Bernier, il est en effet nécessaire de faire la distinction entre la créativité et la création artistique, car « Ce sont deux choses différentes. la créativité est accessible à tout le monde de la société, tandis que la création artistique est le produit du travail d’un artiste reconnu comme tel, que ce soit par ses pairs, le marché, les experts ou l’institution. »

En résumé, la créativité est le processus qui mène à l’invention ou à la création. Une notion avec laquelle Antoine Bellemare est d’accord: « Ce n’est pas uniquement le produit de ce qui a été créé, mais c’est le processus en soi. Pour comprendre le processus créatif, on doit comprendre comment une personne perçoit le monde autour de l’elle pour faire ces nouveaux liens. »

« La créativité pour moi, c’est de voir des associations là où d’autres ne les voient pas », ajoute Pierre Michaud. Néanmoins, les êtres humains se sont toujours confortés dans l’idée qu’ils étaient les seuls à disposer d’un pouvoir créatif et que les machines ne pourraient jamais rivaliser en la matière. Mais l’intelligence artificielle générative a en quelque sorte changé la donne, puisqu’on parle désormais d’ « art génératif », qui consiste en la faculté de la machine de générer une œuvre de manière autonome, grâce à des algorithmes basés sur une vaste bande de données.

IA générative et droit d’auteur : où tracer la ligne ?

Homogénéisation de l’art ?

Or, si l’art génératif dépend de données préétablies, les œuvres artistiques qui en découlent sont-elles susceptibles d’être plus monotones et répétitives? Antoine Bellemare ne l’entend pas de cette façon. Pour expliquer son point, il prend l’exemple notre alphabet, qui est composé de seulement 26 lettres. Il maintient qu’avec un nombre limité de lettres, nous sommes en mesure de créer une quantité innombrable de mots : « Je le vois vraiment comme une énorme mappe, un peu comme de l’inconscient collectif que l’on a, mais qui a été encodé, puis sur lequel on peut naviguer de différentes manières. »

D’après les panélistes, ce qui distingue la création humaine de l’intelligence artificielle, c’est l’intention et le contexte à l’origine de l’œuvre, qui suscitent l’émotion et influencent notre perception. « C’est très important de savoir ce qu’est le contexte d’écoute et d’appréciation de l’œuvre », pense Pierre Michaud.

Émotion et réaction

Si l’IA générative ne suscite pas d’émotion, ou pas encore, elle n’en provoque pas moins de vives réactions au sein de la population, qui y a accès de manière démocratisée. Présents pour assister à la table ronde, des étudiants et futurs travailleurs issus du public ont pris la parole lors de la période de questions, se montrant critiques et inquiets. Beaucoup ont exprimé leurs doutes et appréhensions relativement aux impacts de cette technologie sur l’enseignement, sur la sécurité des données, ou encore sur le droit d’auteur, se demandant quelle serait leur place sur le marché du travail et dans le monde après leurs études. Des questions tout à fait légitimes et pertinentes pour une génération confrontée à un avenir que l’on peut qualifier d’incertain.

Néanmoins, un sondage mené juste avant le débat a montré que, malgré les inquiétudes, de nombreuses personnes sont ouvertes à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans leur travail : 75 % des participants admettent avoir déjà utilisé un outil d’IA générative, tel que ChatGPT. De plus, 65 % se disent ouverts à l’idée d’utiliser l’intelligence artificielle dans la création artistique, et seulement 7 % considèrent que c’est une mauvaise idée. Ces résultats montrent que, malgré les réticences, l’intelligence artificielle est avant tout un outil de travail.

Christine Bernier a comparé l’essor de l’IA avec l’avènement de la photographie au 19ième siècle, où l’appareil photo était perçu comme une menace pour l’artiste peintre. Aujourd’hui, cette technologie est utilisée comme outil artistique à part entière. « Ce qui me rend confiant, c’est qu’il y aura un désir d’expression artistique qui va venir de l’humain (…) Je suis vraiment d’accord avec le fait que le désir de création va perdurer, donc ça nous permet de transcender l’outil », conclut Pierre Michaud.

Pour voir les échanges en rediffusion :

Crédit Image à la Une : Martine Coulombe