Prêt pour l’IA : renforcer le leadership du Québec en matière d’intelligence artificielle

Prêt pour l’IA : renforcer le leadership du Québec en matière d’intelligence artificielle

La semaine dernière, le Conseil de l’innovation du Québec (CIQ) a déposé le rapport de recommandations Prêt pour l’IA, qui vise à « répondre au défi du développement et du déploiement responsables de l’IA au Québec ». Malgré ses zones d’ombre, le rapport est un pas considérable vers une IA mieux gouvernée, et fait écho aux projets d’encadrement homologues à l’international.

Au total, près de 250 intervenants ont été consultés pour ce rapport, incluant des experts et des citoyens, pour un total de 420 contributions citoyennes publiques. « Il s’agit d’une des grandes et rares démarches collectives en faveur d’une réflexion sur l’arrivée et l’émergence d’une technologie qu’on dit souvent de rupture dans la société québécoise », détaille Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval et présidente du CIQ.

1. Encadrer l’IA

Le rapport reconnaît que le manque de législation autour des technologies émergentes a d’importantes conséquences. On souligne entre autres « l’exploitation massive que certaines entreprises font des données personnelles de leurs clients, l’effondrement des médias traditionnels et la multiplication des cas de harcèlement ou de désinformation en ligne. »

Le CIQ demande au gouvernement du Québec l’accélération et l’adoption de travaux législatifs pour encadrer l’IA, alors que de nombreux autres gouvernements interviennent davantage et concrètement en matière d’encadrement légal de cette technologie émergente.

Le 2e Forum mondial de l’UNESCO sur l’éthique et la gouvernance de l’IA, qui s’est déroulé la semaine dernière en Slovénie, a révélé différentes avancées législatives encadrant l’IA à l’échelle nationale. Le Chili est le premier pays à appliquer le Readiness Assessment Methodology (RAM) de l’UNESCO, un outil d’éthiques et d’encadrement dont la Jamaïque et le Vietnam prévoient aussi l’implantation. Également, depuis 2021, le Vietnam s’est doté une stratégie nationale pour la recherche, le développement et l’application de l’IA (toutefois critiquée par plusieurs auteurs qui la jugent insuffisante). Les États-Unis et l’UE ont développé un « code de conduite » sur l’IA. Le pays nord-américain a aussi lancé le The National AI Research Resource et a émis un décret pour le développement d’une IA de confiance.

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« Autant le Québec a une notoriété internationale, avec des gens comme Yoshua Bengio, autant il faut faire attention à ne pas aller trop vite et encadrer l’IA. Il ne faut pas arrêter, mais il faut prendre un peu de recul pour voir ce qu’on va encadrer », lançait Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec au lancement du rapport Prêt pour l’IA.

2. Anticiper les changements entraînés par l’IA

Le rapport vise à anticiper comment les domaines du travail, de la culture, de la démocratie et de l’environnement seront affectés par l’IA. On y considère que « la transformation rapide du marché du travail risque d’accentuer les inégalités sociales ». Ainsi, la recommandation principale est d’instaurer rapidement un projet qui revoit et modernise le droit du travail et des politiques sociales, en prenant en compte les changements qu’amène l’IA.

Au-delà du Québec, l’intelligence artificielle menace de continuer d’amplifier les portraits disparates du travail à travers le monde. « Le marché du travail va changer. Comment faire pour éviter de voir davantage d’inégalités grandir ? Ces inégalités naissent du modèle d’affaires. Des données récentes d’EIB montrent que 80% des investissements liés à l’IA ont lieu aux États-Unis ou au Canada. D’un côté, 50% de la population n’a pas accès à une connexion internet stable, et de l’autre, il y a cette haute concentration d’actifs et d’investissements qui influencent le marché du travail », soutient Gabriela Ramos, sous-directrice générale pour les sciences sociales et humaines de l’UNESCO.

Une démocratie sans média

Prêt pour l’IA met en lumière la fragilisation actuelle de la démocratie en raison de la désinformation (souvent amplifiée par l’IA) omniprésente sur les réseaux sociaux. Celle-ci menace d’avoir des impacts majeurs sur nos sociétés, particulièrement d’un point de vue politique. Des manipulations d’IA ont d’ailleurs utilisé des techniques d’hypertrucage afin d’influencer le cours des élections en Slovénie, une manigance identifiée par différentes enquêtes médiatiques, dont l’Agence France Presse.

Mais la section du rapport sur la démocratie manque de souligner le rôle crucial des médias, qui perdent de plus en plus leur place dans l’espace public, entre autres à cause du blocage des nouvelles de Meta. Aucune recommandation du rapport Prêt pour l’IA n’insiste sur la partie centrale que représentent l’information et les médias pour la démocratie, menacée par l’IA, tel que l’a d’ailleurs reconnu l’Innovateur en chef du Québec, Luc Sirois, en entrevue avec la rédactrice en chef de CScience, Chloé-Anne Touma, précisant que « la partie concernant les médias n’a en effet pas été bien couverte », tout en réitérant l’importance du rôle des médias d’information comme alliés de la sensibilisation scientifique.

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Le Global Risks Report annuel identifie la désinformation comme l’un des plus gros risques planétaires de 2024. La littéracie numérique et médiatique apparait comme arme de plus en plus nécessaire pour faire face à la désinformation entraînée par les différentes technologies émergentes, et les médias sont importants dans le développement de cette compétence; une certitude qu’oublie de mettre en lumière Prêt pour l’IA.

3. Former la population pour mieux comprendre l’IA

Seulement 17% des Québécois se considèrent comme « très familiarisés » ou « familiarisés » avec les outils d’IAG, selon un sondage Léger paru en février 2023. Le Québec serait, selon un sondage d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, la province canadienne ayant le plus faible taux de connaissances de l’IA.

Pour tenter de réduire cette méconnaissance, Prêt pour l’IA propose deux principales pistes de solution. La première est de renforcer la littératie numérique et la littératie en IA par des programmes d’enseignement de la maternelle à l’université. Cette approche est en continuité avec la lancée du cours de Culture et citoyenneté québécoise qui inclut l’enseignement de l’IA à son programme. La seconde est la mise en place de programmes de formations des formateurs en IA, alors que de nombreux professeurs disent ne pas avoir des connaissances suffisantes pour parler d’IA en classe.

Capture d'écran. Pierre Fitzgibbon, ministre de l'Économie et de l'Innovation du Québec par François Legault, et Sophie D'Amours, rectrice de l'Université Laval

Capture d’écran. Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec par François Legault, et Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval

4. Propulser les projets de recherche et développement en IA

Le Québec se classe haut dans les rangs en matière de publications en IA les plus citées mondialement, faisant de la province un leader en matière de recherche en IA. Le rapport québécois de recommandations en IA publié la semaine dernière invite le gouvernement à investir davantage en recherche et développement, à soutenir les entreprises contribuant au développement responsable de l’IA, et à mettre en place une stratégie nationale visant à favoriser le partage de données numériques entre différents secteurs, entre autres.

« Le Québec est une terre d’accueil très importante pour la recherche fondamentale, la recherche appliquée, les jeunes pousses en IA. J’ai souvent entendu le milieu de la recherche dire qu’il est trop compliqué d’avoir accès aux données du gouvernement du Québec, des données essentielles à la recherche. C’est un exemple de cadre législatif ou réglementaire trop serré qui ne contribue pas à l’essor de la recherche. En matière d’IA au Québec, il faut faire attention et ne pas s’orienter dans cette direction », dénonce Éric Caire, ministre de la Cybersécurité et du Numérique, lors du lancement du rapport.

5. Positionner le Québec comme leader en IA

En juin 2023, le Global AI Index estimait que le Canada était le 5e pays le plus avancé en ce qui a trait aux investissements dans l’innovation et la mise en œuvre de l’intelligence artificielle. Le Québec se classerait au 7e rang comme société innovatrice en IA, une position « qu’on ne veut pas et ne doit pas perdre. Le Québec est un leader en intelligence artificielle et doit le demeurer », insiste Éric Caire.

Prêt pour l’IA somme de lancer le programme « IA pour le Québec », qui prévoit mettre « à la disposition des ministères, des organismes publics, des sociétés d’État et des municipalités une enveloppe budgétaire d’envergure dédiée à la planification et à la mise en œuvre responsables de projets en IA hautement stratégiques ». Cette mesure vise un développement éthique de l’IA, en plus de réaliser son plein potentiel.

Même à l’international, on appelle à reconnaître les retombées positives de l’IA pour la société, malgré les risques qui s’y rapportent. « Même lorsque nous parlons des politiques et des réglementations que nous utiliserons, entre autres pour limiter les risques potentiels, je pense qu’il est important de parler également de l’imagination débordante de ce que l’IA pourrait représenter pour l’humanité. Le potentiel de créer des solutions là où vivent les gens, de remédier aux moments de vulnérabilité de la ligne de front, de créer de nouvelles voies d’opportunités économiques (…) et de comprendre comment l’IA peut aider à construire une société meilleure », défend Vilas Dhar, président du UNSG’s High Level Advisory Body on AI.

À noter qu’il est possible de consulter l’intégralité de Prêt pour l’IA sur le site web du CIQ. D’autres reportages faisant l’analyse approfondie du rapport, et intégrant des entrevues inédites avec l’Innovateur en chef et divers experts, suivront sur CScience.

Crédit Image à la Une : iStock