« Le Monde après nous » : 3 leçons à tirer de la cyberattaque apocalyptique imaginée dans le film

« Le Monde après nous » : 3 leçons à tirer de la cyberattaque apocalyptique imaginée dans le film

Depuis le jour de l’an, des vidéos choc circulent sur le web, montrant à quel point notre dépendance aux écrans et téléphones cellulaires nous fait parfois passer à côté des choses simples de la vie. Dans ce monde accro aux technologies, difficile d’imaginer échapper au chaos qu’engendrerait une cyberattaque massive, paralysant les populations, et coupant les individus du reste du monde. C’est le scénario apocalyptique qu’anticipe et met en scène le film Le Monde après nous, inspiré du roman éponyme de Rumaan Alam. Quelles leçons faut-il en tirer?

Produit par la compagnie Higher Ground Productions fondée par Barack et Michelle Obama, Le Monde après nousThe World Behind » de son titre original), offert depuis le 8 décembre sur Netflix, nous pousse à réfléchir aux conséquences possibles d’une cyberattaque sans précédent qui pourrait cibler tout un pays ou son continent, et y laisser les gens dans un sentiment d’impuissance totale, livrés à eux-mêmes. Un scénario qui ne relève pas tellement de l’utopie…

En vacances familiales près de New York, un couple aisé (joué par Julia Roberts et Ethan Hawke) et ses deux enfants s’installent dans une villa louée au milieu d’un boisé peuplé de cerfs, en retrait par rapport à la ville, idyllique jusqu’à preuve du contraire. S’ensuit alors une série d’événements inquiétants, semblant étrangement liés à une panne générale du signal internet et téléphonique, attribuable à une attaque de grande envergure. Ce n’est qu’à l’arrivée mystérieuse d’un homme et de sa fille, incarnés par Mahershala Ali et Myha’la Herrold, qui prétendent être les propriétaires du domaine, que la maisonnée se questionne plus sérieusement quant à la gravité de la situation. Jusqu’où s’étend cette panne? Combien de temps va-t-elle durer? Et, surtout, qui en est à l’origine et pour quel motif?

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Un film anxiogène, qui met la fragilité de nos sociétés en perspective

1. Il faut moins dépendre des technologies

Scène dans Le monde après nous

Imaginez être, comme cette famille new-yorkaise, privé(e) de votre connexion internet et ne plus avoir aucune communication possible avec le monde extérieur, être victime du chaos engendré par la mise hors service des satellites, la paralysie des systèmes de navigation qui en dépendent, et la perte de contrôle des voitures autonomes. Un désordre qui s’étend jusqu’à la perturbation de la migration des cerfs, qui commencent à montrer leur museau dans votre cour par dizaines, et à encercler votre maison. Et puisqu’en contexte de fin du monde, les rapports sociaux changent aussi, vos amis et vos voisins se transforment en menace, en rivaux prêts à tout pour protéger les denrées rares qui pourraient faire la différence entre la mort et la survie.

« [Barack Obama] voulait vraiment rendre justice au livre et à ce thème de la méfiance, cette mise en garde sur ce qui pourrait arriver si nous n’avons pas cette communauté ou ce lien qui nous unit. »

– Sam Esmail, réalisateur

Dans une entrevue accordée au magazine Collider, le réalisateur Sam Esmail rapporte que « [Barack Obama] voulait vraiment rendre justice au livre et à ce thème de la méfiance, cette mise en garde sur ce qui pourrait arriver si nous n’avons pas cette communauté ou ce lien qui nous unit ». Ce lien passe manifestement par la technologie, dans un monde de plus en plus cyberdépendant, que ce soit pour se divertir, travailler, se déplacer, s’informer ou assurer la sécurité des citoyens.

Ce scénario nous rend presque nostalgiques d’une époque où l’omniprésence des technologies et de l’univers numérique ne s’était pas encore substituée à celle des médias physiques, autre effet provoqué intentionnellement par le film, selon le réalisateur.

Ce n’est pas non plus sans faire écho aux nombreuses publications qui circulent actuellement sur le web, depuis le jour de l’an, témoignant comme jamais de cette réalité au travers d’images frappantes. Sans être truquées, ces vidéos choc montrent un parterre de téléphones cellulaires, portés à bout de bras par des dizaines de milliers de Français sur l’Avenue des Champs-Élysées, devant l’Arc de Triomphe et qui, au lieu de profiter du spectacle sans écran interposé, filment platoniquement le décompte et les feux d’artifices.

Fanny Tan, chercheure à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, explique que « certaines cyberattaques ont le potentiel d’être effectivement très destructrices. Les cyberattaques qui ciblent les infrastructures critiques, dans les domaines de l’énergie, de la défense ou des transports par exemple, peuvent être très dommageables. » Elle évoque l’action récente du groupe Gonjeshke Darande, « que l’on croit liée au gouvernement israélien », ayant entraîné la mise hors service de 70% des stations d’essence d’Iran. « Les attaques de ce genre, qui causent des perturbations significatives pour la population, sont en augmentation. »

« Il est difficile d’imaginer ne pas dépendre de la technologie aujourd’hui. Mais si on accepte cette dépendance, il faut absolument assumer la vulnérabilité qui l’accompagne, et reconnaître l’importance de bien protéger nos données et nos systèmes (…) »

– Fanny Tan, chercheure à la Chaire Raoul-Dandurand

Fanny Tan

Devrait-on remettre en question notre dépendance aux technologies et aux médias numériques, que ce soit pour s’informer, travailler, se divertir, ou vivre en général? Mme Tan pense qu’ « Il est difficile d’imaginer ne pas dépendre de la technologie aujourd’hui. Mais si on accepte cette dépendance, il faut absolument assumer la vulnérabilité qui l’accompagne, et reconnaître l’importance de bien protéger nos données et nos systèmes contre les tentatives de vol, de sabotage ou de destruction en cas de cyberattaque. »

2. Il faut développer son jugement critique pour mieux résister à la propagande

Le Monde après nous met aussi l’emphase sur l’efficacité des campagnes de désinformation lorsqu’il s’agit de déstabiliser toute une population, et d’en rendre le pays d’autant plus vulnérable. Car bien que le responsable des attaques perpétrées dans le film soit inconnu, il apparaît clair qu’il tente délibérément de semer la confusion parmi les civils américains, alors qu’il distribue des tracts de propagande variés par voie aérienne, affichant différents symboles et messages. Ces textes, suscitant diverses lectures et interprétations, poussent les personnages à émettre toutes sortes d’hypothèses biaisées quant à l’identité de leur ennemi commun.

Force est de constater, là encore, la matérialisation de cette vulnérabilité dans la réalité, en l’exposition croissante des individus aux nouveaux moyens de propagande, notamment sur les réseaux sociaux. On l’observe en analysant les effets des campagnes de désinformation russe sur le conflit en Ukraine, reposant parfois sur la technique de l’hypertrucage, ou encore l’avalanche de photos détournées sur le conflit Israël-Hamas, qui a mené beaucoup d’internautes à accuser à tort des victimes de simuler leur souffrance, des deux côtés de la guerre.

« (…) plusieurs États déploient des efforts considérables pour mener des campagnes de désinformation à l’étranger. C’est un phénomène qui inquiète et dont les effets sont encore étudiés. »

– Fanny Tan, chercheure à la Chaire Raoul-Dandurand

Questionnée quant aux tactiques couramment utilisées dans les campagnes de désinformation, Fanny Tan mentionne celle qui consiste à semer le doute. « Dans la campagne de désinformation de l’IRA (« l’usine à troll russe ») lors des élections américaines de 2016, des messages pro-Trump et pro-Clinton étaient diffusés sur les réseaux sociaux. L’objectif n’était pas d’appuyer un candidat au détriment d’un autre, mais plutôt de semer le doute, de brouiller les pistes et d’augmenter la polarisation affective (une aversion émotionnelle et une méfiance à l’égard de gens qui ont des opinions politiques différentes des nôtres) au sein de la nation. »

Mais selon la chercheure, qui s’appuie sur les travaux de confrères, « l’effet de la désinformation russe dans l’élection américaine de 2016 n’aurait pas été significatif. Seuls les électeurs républicains assumés auraient vraiment été exposés à cette désinformation, et elle n’aurait pas eu des retombées à large portée sur les attitudes et les comportements des électeurs américains. Toutefois, plusieurs États déploient des efforts considérables à mener des campagnes de désinformation à l’étranger. C’est un phénomène qui inquiète et dont les effets sont encore étudiés. »

Retenons alors cette deuxième leçon : faire trop confiance à ses sens tout en manquant de discernement peut parfois faire de soi son propre ennemi.

3. Il faut renforcer sa cybersécurité et mieux se protéger contre l’ingérence étrangère

L’une des menaces évidentes, favorisant l’attaque de nature géopolitique, se rapporte à l’ingérence et l’espionnage étrangers, dont il faut réduire les risques.

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En matière d’ingérence étrangère, les pays industrialisés font d’excellentes cibles, et la France et le Canada n’en sont certainement pas épargnés…

Le rapport annuel de la délégation parlementaire au renseignement, publié le 2 novembre dernier, rappelait que le problème en France est devenu une menace « protéiforme, omniprésente et durable », allant de l’espionnage à l’utilisation de l’espace cyber, en passant par les opérations de manipulation de l’information, avec la Russie et la Chine comme acteurs principaux.

« Vous vous souvenez peut-être des révélations concernant l’existence de centres de police chinois, à Toronto mais aussi partout au Canada, d’allégations de campagnes de désinformation et d’intimidation à l’endroit de candidats au sein de partis fédéraux pour se présenter aux élections, ainsi que durant les périodes électorales, et d’allégations concernant des influences à travers le financement chinois de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Toute cette effervescence et ces événements ont exercé une très forte pression dans l’espace public », le rappelait Simon Hogue, professeur au Département de science politique de l’UQAM, lors d’une conférence organisée par la Chaire de recherche Raoul-Dandurand en décembre.

C’est en procédant à l’analyse et à la révision constantes de leurs systèmes de défense, qu’ils soient technologiques, économiques ou législatifs, que les pays pourront mieux se protéger contre ce type de menace, notamment en encadrant la commercialisation et les usages de technologies collectant des données, et en misant sur la résilience de leurs infrastructures numériques.

Méfiance et bannissement des caméras de surveillance chinoises

Crédit Image à la Une : Capture d’écran (réseaux sociaux) et Jojo Whilden (Netflix)