[ENTREVUE] Transition numérique et écologie : des étapes clés pour atteindre la vision 2040

[ENTREVUE] Transition numérique et écologie : des étapes clés pour atteindre la vision 2040

Face à la crise écologique sans précédent qui s’impose, l’Université de Montréal et la fondation Espace pour la vie se sont alliées pour « Chemins de transition », un projet visant à mieux connaître, définir et débattre des voies que devrait emprunter la société québécoise pour mener une transition favorable à un avenir souhaitable. Peut-on faire converger cette transition avec celle du numérique, dans un horizon de 20 ans ? Et si oui, comment ?

Après deux ans et demi à plancher sur la question, le collectif vient d’émettre un rapport qui fait état de 33 étapes clés à franchir, réparties en quatre blocs thématiques : l’offre et la demande de sobriété, un partage de ressources limitées, un numérique sur mesure, et l’innovation guidée par la transition. Pour en mettre en évidence les visées et retombées, CScience s’est entretenu avec Martin Deron, chargé de projet du Défi numérique à Chemins de transition.

Chemins de transition, en deux mots, c’est quoi ?

Le projet Chemins de transition a démarré au début de l’année 2020, en partenariat avec l’Université de Montréal et l’organisme Espace pour la vie. L’objectif en était de rassembler les différentes forces vives de la transition au Québec, et de sortir la discussion de la sphère académique pour la mener aussi avec la société civile, en terrain commun, afin d’identifier des trajectoires relevant du possible, mais aussi du souhaitable pour la société québécoise.

« Nous n’en sommes plus à nous demander si la société sera différente d’ici les 10 à 20 prochaines années, mais bien à quelle point cette différence assurée et cette transition seront subies, sinon choisies ? »

– Martin Deron, chargé de projet du Défi numérique à Chemins de transition

L’un de nos premiers constats est que la transition écologique va requérir de faire des changements de grande ampleur, au temps d’une seule génération. Nous n’en sommes plus à nous demander si la société sera différente d’ici les 10 à 20 prochaines années, mais bien à quelle point cette différence assurée et cette transition seront subies, sinon choisies ?

Martin Deron lors du dévoilement des conclusions du rapport.

Sur quels défis principaux s’attardent le mouvement et le rapport ?

On s’est concentrés sur trois grand défis que l’on considère comme étant significatifs à l’échelle du Québec : le défi de la transition alimentaire, celui de la transition du territoire, et celui qui m’intéresse, soit la transition numérique, qui implique de faire des efforts immenses : revoir notre système économique, les manières dont on communique, dont on travaille et se déplace, réinventer nos villes, etc.

Comment les consultations ont-elles été menées, et auprès de qui ?

Nous avons acquis des savoirs au travers d’activités, d’événements et de consultations, auprès des sphères universitaire, professionnelle et citoyenne, à chaque étape du projet. Nous avons d’abord fait une revue de la littérature. Ensuite, nous avons mené des entrevues avec des citoyens et des experts pour comprendre les enjeux liés à la transition numérique et avons déterminé nos visées. Nous avons organisé une douzaine d’ateliers plus généraux, qui ont impliqué 140 participants pour le Défi numérique. Ces personnes incluaient des aînés, des élèves d’écoles secondaires, des citoyens engagés, etc. Une fois qu’on a eu le portrait de la situation de là où l’on en était, il s’agissait de savoir où l’on voulait aller et être dans 20 ans.

Nous avons discuté de situations hypothétiques : imaginons qu’un jour, la ressource numérique se contracte. Qu’une pénurie de semi-conducteurs force l’industrie du numérique à rebattre les cartes, et que la société doive choisir les applications à privilégier et les usages essentiels. Comment fait-on ? Qu’est-ce qu’un usage essentiel du numérique, d’une personne ou d’une région à l’autre ? À ces questions, la recherche ne possède pas les réponses. C’est pourquoi nous avons mené des ateliers avec les citoyens.

En résumé, quelles sont les étapes clés suggérées dans le rapport ?

On y établit que des changements sont à faire dans toutes les sphères du numérique, tant au chapitre de l’offre et de la demande des appareils numériques qu’à celui de notre culture du numérique, des lois qui l’encadrent, et de la recherche. Par exemple, on mentionne la prolongation de la durée de vie de nos appareils, qui est le nerf de la guerre, puisque l’essentiel des impacts écologiques du numérique provient de tous nos objets connectés du quotidien.

Notre industrie de la réparation et du reconditionnement doit être mise à profit et démocratisée pour contrer l’obsolescence. Pour que ses acteurs soient compétents et utiles, il faut qu’ils aient accès aux bonnes pièces et à des manuels, qu’il y ait une restructuration de la fin de vie des équipements. Actuellement, au Québec, il y a une compétition entre le recyclage et le reconditionnement de nos appareils, dont plusieurs sont recyclés ou, pire, envoyés à l’enfouissement, alors qu’ils sont parfaitement fonctionnels et pourraient être utilisés dans le contexte approprié. Il faut repenser tout cela.

On recommande et on explore aussi d’autres modèles d’affaires du numérique que ceux que l’on connaît. Avec ce qui existe, on a la chance de pouvoir accéder à un certain nombre de services gratuits du numérique, mais en contrepartie, on en sollicite davantage et génère plus de données à stocker. C’est une course à l’infini qui est incompatible avec la transition.

En janvier, on a eu une hausse de la demande d’électricité. Hydro-Québec a dû s’ajuster rapidement. Avec de plus en plus de projets, de serveurs et de réseaux de communication, comment fait-on si on a une crise énergétique, même temporaire ? Ce qu’on dit, c’est qu’il faut entamer cette discussion publique avec toutes les parties prenantes de la société, pas juste au sein du gouvernement, parce qu’il faut que la population réalise que le numérique dépend de plein d’éléments dont la pérennité n’est pas garantie.

L’éveil collectif se fera-t-il à temps ? N’est-il pas trop tard pour lancer cette discussion ?

Le plus tôt sera le mieux, et il n’y a pas besoin d’attendre de compléter une étape pour en commencer une autre. Mais pour réaliser des changements systémiques significatifs sur le long terme, il faut impérativement que la sensibilisation se fasse dès aujourd’hui, et à tous les niveaux : auprès des utilisateurs du numérique, acteurs gouvernementaux, professionnels, programmeurs, développeurs web, investisseurs, institutions de recherche, etc.

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Crédit Image à la Une : Martin Deron, Chemins de transition